Laurence Ouellet Tremblay au micro, Danielle Dubé, Sophie Torris, Christiane Laforge |
Livres comme l’Air
Hommage aux écrivaines et journalistes
détenues politiques
Hommage aux écrivaines et journalistes
détenues politiques
Vous dites oui sans hésiter, parce que la liberté inclut
la liberté de s’exprimer. Vous dites oui, parce que notre réalité nord-américaine
ne doit pas occulter la réalité d’ailleurs. Vous dites oui avec la raison… et c’est
le cœur qui s’empare de tout ce qui va suivre.
Invitée à participer à l’activité Livre comme l’air – initiée en l’an 2000 par Amnistie
internationale et l’Union des écrivains professionnels du Québec à l’occasion
de la Journée internationale des écrivains emprisonnés – je prenais
conscience de tout un réseau dépassant les mots pour agir avec les mots. Avec le
Centre québécois du P.E.N. international (Poètes, essayistes, nouvellistes pour
la liberté d’expression) et l’APES (association professionnelle des écrivains
de la Sagamie), Livre comme l’air franchissait
les portes du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
L’objectif du Centre Le P.E.N., tel que décrit sur la page Facebook de l’organisme,
se décrit comme suit : « La mission spécifique du Centre québécois du P.E.N.
international est de protéger la liberté d’expression écrite et, dans la
foulée, d’apporter une aide à la fois morale et matérielle à des écrivains dont
les droits sont bafoués, ne sont pas le privilège de leurs seuls frères et
sœurs écrivains. On encourage le public en général, plus particulièrement ceux
que l’indignation face à l’injustice incite à l’engagement, ceux que des
expériences de lecture ou de voyage, ou un simple coup d’œil sur les nouvelles
arrivent à indigner et à motiver, à joindre leurs efforts aux nôtres. » (Source :
https://www.facebook.com/centrepenquebec/
).
« C'est la manière du PEN de dire aux 900
écrivains prisonniers, harcelés, assassinés et disparus : vous n'êtes pas
réduits au silence. Vous n'êtes pas oubliés. Nous sommes avec vous, et nous
luttons. »
Qui choisir ?
Membre du P.E.N. et très active au
sein de l’UNEQ et de l’APES, Danielle Dubé est, depuis un temps déjà jumelée à
l’écrivaine turque Asli Erdogan. Impossible de résister à sa quête lorsqu’elle
a invité trois auteures d’ici à suivre son exemple. Laurence Ouellet Tremblay,
Sophie Torris et moi-même avons reçu un bref résumé de la vie de quatre femmes
emprisonnées pour leurs écrits en faveur des droits de l’Homme. Qui choisir ?
À trop réfléchir, je fus la dernière à confirmer mon choix. La difficulté étant
de se dire, laquelle ne pas choisir, tant le drame de ces prisonnières m’interpellait.
Lors d’une répétition préparatoire à
notre prestation sur la scène du Salon du livre, j’ai compris que nous avions chacune
été touchée par cette femme inconnue à laquelle nous devions écrire notre
soutien. Avec Danielle, Laurence et Sophie, toutes étaient entre bonnes mains,
toutes avaient trouvé une voix. Et quelle serait la mienne, tandis que mes
recherches me révélaient l’injustice, l’horreur, la cruauté ainsi que la
beauté, le courage et une volonté indéfectible d’affirmer sa liberté ?
Voici, les textes présentés le
dimanche 1er octobre au Salon du livre SLSJ.
LETTRE À ASLI
ERDOGAN
Asli Erdogan |
Bonjour Asli,
Je m’appelle Danielle Dubé,
En décembre dernier, nous apprenions que tu étais libérée
de la prison turque de Barkikoy mais assignée à résidence, de santé fragile et
en attente de procès. Un procès qui ne vient pas malgré plus de douze mois
d’attente sous les verrous ou dans ta chambre. Et cela, malgré des milliers et
milliers d’appuis que tu as reçus de partout dans le monde, y compris du P.E.N.,
de l’UNEQ, d’Amnistie international, et de ton éditeur Actes Sud. Comme si on
voulait que tu te résignes, abandonnes…
Jusqu’à maintenant on a laissé tombé deux chefs d’accusation,
«celui de propagande » et «d’incitation au désordre». On t’accuse malgré tout
«d’appartenance à une organisation terroriste », ce qui n’a jamais été
démontré. Passible d’une sentence d’emprisonnement à perpétuité parce que tu as
défendu des victimes, dénoncé dans ton journal et dans ton livre Le bâtiment
de pierre, les terribles conditions
des prisonniers kurdes.
Depuis le coup d’état d’août 2016, des centaines de
journalistes comme toi ont été incarcérés, des centaines de journaux,
magazines, radio et stations de télé sont fermés.
Tu fais partie d’une
espèce aussi rare que précieuse, Asli. Écrivaine reconnue dans le monde, traduite
en une quinzaine de langues, traductrice d’un monde bouleversé et dur, tu as toujours
défendu la liberté d’opinion. Tu dis que tu t’accroches aux mots, aux mots de
ceux qui t’appuient partout dans le monde. Quel courage cela demande, espérer
encore !
La première fois que
je t’ai écrit, je t’ai dédicacé mon roman Les
olives noires. Le long cri de libération d’une femme qui peine à sortir de
son enfermement alors que l’Espagne est sous le joug du franquisme et que le Québec
subit une loi des mesures de guerre. Cette fois, je t’offre Ciel de Kyoto,
puisque c’est ce que tu souhaites le plus : retrouver le ciel. Ton ciel,
le ciel d’Istanbul si beau dans la nuit étoilée des coupoles et des minarets.
Ciel de Kyoto, c’est le récit de voyage de dix femmes libres qui ont le droit de lire, de
penser, d’écrire et voyager pour découvrir le monde. La chance que nous avons,
je te la souhaite. La liberté, le plus beau cadeau que puisse se faire
l’humanité avec la solidarité et la démocratie !
Je t’admire Asli, et
tu le sais. Les thèmes de tes écrits me
rejoignent. Ta langue, ton écriture est un cri qui nous interpelle dans la nuit
d’un monde guerrier, cruel et barbare. Il est temps que tu retrouves ta vie, ta
liberté comme des centaines de tes concitoyens journalistes. Ton droit même le plus fondamental, celui de
vivre et respirer est menacé. Il y a péril en ta demeure, dis-tu, même dans
toute l’Europe… Il est encore temps pour ton pays comme pour ses chefs de se
resaisir.
La Turquie pour nous
occidentaux, ce fut déjà un rêve. Istanbul, un conte des mille et une nuits. Le
premier mandat du président Récep Erdogan était prometteur, annonciateur de
jours meilleurs, même d’une entrée dans l’Union européenne. Comme d’autres,
nous y avons crû. Ne tuons pas la beauté du monde. La beauté de ta voix pas
plus que l’espérance d’une démocratie !
La dernière fois, au
Salon du livre de Montréal, je demandais au ministre Stéphane Dion
d’intervenir. Cette fois je le demande à la ministre des Affaires étrangères Christya
Freeland, à Justin Trudeau lui-même, celui dont le monde aime tellement
l’image. Une image qui doit servir à aller au delà des mots dits, améliorer le
fonctionnement de nos démocraties, voire servir de modèle aux pays récalcitrants.
Avec Amnistie, le PEN Québec,
l’UNEQ et maintenant l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie
(APES), j’en appelle à ta libération, au sens de la justice et à l’humanisme
des dirigeants turcs qui savent que tu n’as jamais cautionné le terrorisme. Pas
plus que les exactions des troupes de Daesch. Je t’interpelle dans ta nuit en
espérant le retour de l’aube : « Courage Asli ! Espère Asli ! Nous pensons encore
à toi. »
écrivaine jumelée
à Asli Erdogan
par l’UNEQ
et le P.E.N
Seule ma
propre main peut véritablement me réduire au silence.
Et
pourtant, ma voix, tu l’entends, a tous les accents de la différence.
Toi, c’est
une autre main que la tienne qui bâillonne ton existence.
Simplement
parce que ta voix, je l’entends, veut faire acte de résistance.
Je
t’appelle, sur cette scène, je t’appelle- Shamael Al-Nur, journaliste et
soudanaise.
Je
m’appelle, sur cette scène, je m’appelle Sophie Torris, enseignante canadienne d’origine
française.
Je nous
appelle, sur cette scène, je nous appelle, Sophie et Shamael, le temps d’une
parenthèse, d’une conversation en absence.
Moi au
Québec et toi, au Soudan, dans cet ailleurs improbable.
Moi ici et
toi, au loin, présumée coupable.
Le verdict
est tombé et ton crime est passible de la peine mort.
User de
mots justes et pacifiques, est-ce possible que ça entraine la mort?
Dénoncer
un gouvernement vétuste qui ne consacre à l’éducation et à la santé que 3% de ses
recettes et sans remords
mérite-t-il
d’être jugé et condamné? Qui peut ainsi décider de ton sort?
Peut-on
éradiquer une âme parce qu’il n’y a pas que l’Islam sous son tchador?
Coupable
d’Apostasie. Pour avoir écrit dans un journal des mots.
Coupable
d’Apostasie. C’est un Imam extrémiste qui veut te faire la peau.
Et voir se
balancer au bout d’une corde ta tête
surtout
parce que c’est celle d’une femme libre et pas si bête.
T’étrangler
avec les liens de ta propre éloquence
et faire
exemple de cette sentence.
Combien
sont-ils ces ministres incultes d’un culte qui se croit tout permis
et dont la
parole, quand elle se fait extrême, exulte la misogynie?
C’est si
facile de répondre par la haine et la violence
quand on
est en face d’une femme qui pense.
Je vis
dans un pays qui défend la liberté d’expression et le droit de parole.
J’enseigne
la beauté et la puissance des mots sur les estrades des écoles.
Sur les
tableaux noirs, librement, mes élèves s’épanchent.
La craie
est la plus pacifique des armes blanches.
Je
t’offre, Shamael, une de mes pièces de théâtre écrite pour et par des tout
petits
en
souhaitant qu’un jour, le Soudan investisse un peu plus dans l’éducation et
dans ce genre d’outil.
Parce que
c’est quand on n’a pas appris à écrire, qu’on se défend avec les mains.
Parce que
c’est quand on n’a pas les mots pour dire, qu’on use de ses poings.
Tu vis
dans un pays qui censure les mots quand ils disent la vérité.
Tu vis
dans un pays qui enseigne la vertu comme seul alphabet.
Les
enfants y sont en majorité illettrés, un peuple ignorant est bien plus facile à
mener.
Les femmes
y sont en majorité des poupées cigognes, à l’étroit dans un même sarcophage
étouffant
leur rogne contre une charia que des hommes interprètent à leur avantage.
La
religion prend le pas sur le politique pour menacer ton intégrité.
Et te
voilà hérétique parce que tu défends les droits de ces minorités.
Mais tu
continues de dénoncer le système. Alors, on t’accuse de blasphème.
Le coran
en devenant code civil met ta vie en péril.
Je salue
l’encre qui coule dans tes veines et qui déverse ces flots de parole sans
prudence.
Je salue
l’encre qui dénonce la haine et qui lutte tout en hyperbole contre la violence.
Tu as
porté plainte contre l’extrémiste religieux
Pour
diffamation et propos calomnieux.
D’où te
vient cette force, Shamael?
Au travers
de toutes ces campagnes hostiles, tu te refuses à devenir servile.
D’où te
vient cette force, Shamael?
Au travers
d’un tel régime de peur, oserais-je moi, signer mes écrits de mon nom d’auteur?
Ta vie de
femme et de journaliste est empêchée par une de ses voies :
la parole.
Alors qu’elle est le plus sûr chemin pour défendre tes droits.
Permets
que j’use de la mienne pour défendre cette liberté que je chéris :
la liberté
d’expression, qui est non seulement, le pain qui te nourrit
mais aussi,
le plus fier moyen de lutter contre toutes sortes d’agonies.
Seule ma
main peut véritablement me réduire au silence.
Alors, j’ai
dit « oui » quand Le Pen international m’a offert de vivre cette
alliance.
Ta langue
est belle, ta langue est forte, mon amie.
Vois comme
elle traverse les frontières aujourd’hui.
Ici, au
Saguenay, en ce 1er octobre 2017, dernier jour du salon du livre,
Je demande
à la justice de ton pays qu’elle te délivre.
© Photo Sophie Gagnon-Bergeron |
LETTRE À GOLROCKH EBRAHIMI IRAEE
Goldrockh Ebrahimi Iraee |
Bonjour.
Je suis
Christiane Laforge.
Auteure de
plusieurs livres et journaliste de profession, j’ai utilisé les mots pour
défendre deux grandes causes : la condition humaine, mais surtout les
droits des femmes et l’expression artistique de toutes les disciplines.
Si le
choix de mes parents m’a amenée très jeune de la Belgique au
Saguenay–Lac-Saint-Jean, cette région est devenue le choix de mon cœur et lieu
de ma vie. J’y ai fait carrière en journalisme pour le Progrès du Saguenay
pendant 38 ans. J’y ai écrit et publié une dizaine de livres. Par la suite, ne
sachant pas le sens du mot retraite, j’ai continué, depuis 2009, à utiliser les
mots pour défendre encore et toujours ces deux grandes causes. Ce qui aboutit,
en toute logique, à me retrouver ici, ce soir, pour évoquer le drame de
Golrockh Ebrahimi Iraee. Drame que subissent de nombreuses femmes écrivaines et
journalistes de plusieurs pays.
Mais avant d’aborder son drame, permettez-moi
de lui offrir mon dernier livre, Cœur
innombrable, cette parole de femme libre, qui n’aurait jamais pu publier ce
livre dans le pays de Goldrockh.
Golrockh
Ebrahimi Iraee, j’ose résumer ton drame.
Accusée
d’avoir porté atteinte aux valeurs sacrées de l’Islam, notamment pour la
rédaction d’un livre de fiction non publié, inspiré d’un fait réel relaté par
le film américain La
lapidation de Soraya M, te voilà condamnée à six ans de prison.
Défenseur des droits humains comme toi, ton compagnon
Arash Sadeghi, lui-même condamné à 15 ans de prison, a voulu te défendre en
s’imposant une grève de la faim de 72 jours, afin d’attirer sur toi le regard
du monde libre. Tu as cru, un bref moment, retrouver ta liberté au prix de sa
santé gravement compromise. Une liberté provisoire en attendant que la Cour
Suprême puisse réviser les motifs de ton emprisonnement. Promesse bafouée 19
jours après la fin de sa grève de la faim. En effet, le 22 janvier 2017, tu
étais de nouveau arrêtée et enfermée dans la prison d’Evine de Téhéran.
Tandis
que tu te consumes derrière les barreaux, ta peine et celle d’Arash attendent
que la 33e Chambre de la Cour Suprême réexamine leur bien fondé. Sachant pourtant que les « pasdarans », ou
gardes de la révolution, empêchent le transfert des documents essentiels à cet
examen. En janvier dernier, ce sont ces mêmes pasdarans qui avaient bloqué le
transfert de ton compagnon à l’hôpital, forçant ton retour en prison.
Chère
Golrockh,
Au-delà de
la distance, malgré les silences et l’isolement, ton nom ne m’est plus
étranger. Comme écrivaine, comme journaliste préoccupée par les droits des
humains, je ne peux être indifférente à ton sort tragique, ni au bafouement de
tes droits. Le droit à la liberté, liberté de parole, liberté d’écrire, liberté
de revendiquer le respect de la valeur sacrée de la vie, liberté de dire que la
lapidation est une insulte à l’humanité.
Je me sens impuissante devant les
lourdes portes de ta prison. Révoltée de te savoir muselée, isolée de ta
famille, de tes amis, privée de tes droits, même celui de te défendre.
Impuissante mais pas désarmée, car
la vigilance de nombreuses personnes préoccupées par ton sort a transmis
l’appel courageux de ton époux ainsi que le tien. Et j’entends ta voix. Cette
voix bouleversante qui évoque les interminables heures d’interrogatoire, les
yeux bandés, interrogée et menacée sous prétexte d’insulte à l’Islam, tandis
que dans la cellule voisine tu perçois les coups et la torture infligés à ton
mari. Tu lui as écrit :
« Ton combat est admirable mon très cher Arash. Je t'en prie, reste en vie, car je chéris ta vie si précieuse bien plus que ma propre liberté. »
Le 8
juillet dernier, forte d’un esprit combatif qui refuse de se résigner, tu cosignais,
avec Atena Daemi une lettre ouverte adressée aux ambassadeurs de 45 pays
pour dénoncer les conditions inhumaines dans la prison d’Evine. Le 22 août,
avec deux autres prisonnières, tu poursuivais ta lutte afin de soutenir les
prisonniers politiques de
Gohardacht au 20e
jour d’une grève de la faim. Cette grève de la faim est devenue « le seul moyen
pour les prisonniers d'exiger justice », précises-tu. Ajoutant, de concert avec
tes sœurs de combat :
« Votre silence et votre
inaction finiront par devenir une couverture politique pour les violations
continues et généralisées des droits humains en Iran. »
Et moi, géographiquement si loin de toi et pourtant
si proche à t’entendre, je te le dis, Golrocks Ebrahimi Iraee, je veux parler,
je veux agir, refusant que mon silence et mon inaction cautionnent l’horrible
tragédie que tu vis, toi et les tiens, ces femmes et ces hommes qui luttent
pour la valeur sacrée des droits humains.
Ce soir, je suis ta voix. Je porte
ta parole qui réclame, avec raison, le droit de vivre libre.
Christiane Laforge
par l’UNEQ, le P.E.N et l’APES.
1er octobre 2017
Mon nom est Laurance Ouellet Tremblay, j’ai 32 ans, je vis
au Québec, un territoire en paix, je suis une poète ; je suis aussi une
femme libre. J’ai écrit et publié à ce jour deux livres sans que personne ne me
musèle ou menace de me faire taire et j’ai l’intention d’en écrire encore
plusieurs autres.
La seule censure que je connaisse est celle de mes pairs,
à qui je demande conseil et qui me disent « tu devrais changer ce mot-ci
par celui-là, ajouter une virgule ici » C’est une censure choisie et c’en
est une volontaire.
Je suis ici aujourd’hui pour vous parler de Liu Xia, une
poète, peintre et photographe chinoise de cinquante-six ans assignée à
résidence depuis 2009 par les autorités de son pays. Assignée à résidence,
c’est-à-dire surveillée, c’est-à-dire épiée, c’est-à-dire punie. Depuis huit
ans. Assignée à résidence, c’est-à-dire seule, profondément seule, sans contact
avec ses amis, sa famille. Sans contact avec personne, elle est affaiblie, usée
par l’isolement trop long, beaucoup trop long. Depuis huit ans, Liu Xia attend.
Vous me demanderez sans doute quel crime a été commis pour
mériter une telle sentence. Eh bien, ce crime, il n’existe pas. Ta seule
offense, Liu, a été d’aimer un homme et de partager avec lui une passion
ardente pour la littérature. Je te comprends, Liu, je te comprends très bien.
Je vis la même chose.
Ton seul crime a été d’aimer Liu Xiabo, un dissident
chinois qui n’a jamais eu froid aux yeux, un prix Nobel de la paix, aussi. Ce
seul amour t’a rendue menaçante aux yeux de ton gouvernement. Ce seul amour
leur a permis de te confiner à la solitude de ta demeure. La peur et la
petitesse de tes dirigeants, ici, m’apparaissent évidentes et me dégoûtent.
Ton amour, Liu Xiabo, est décédé le 13 juillet dernier.
Depuis les funérailles ayant eu lieu deux jours après sa
mort, nulle nouvelle de toi, Liu, tu es disparue, tu t’es évanouie. Seule
trace, une courte vidéo, une minute et c’est tout, où tu apparais affaiblie et
demande à tes proches du temps pour faire ton deuil. Seule trace, une courte
vidéo que tous tes amis croient avoir été tournée sous la contrainte. Une
courte vidéo à laquelle je ne crois pas moi non plus.
Liu, je t’écris aujourd’hui pour te dire que je pense à
toi. Tu dis que le gouvernement chinois extermine ses dissidents politiques
dans l’indifférence générale, sans que l’Occident n’y prenne garde ou n’y fasse
attention, et tu as bien raison. Tu dis que nous nous réveillerons un jour,
alors que vous aurez tous disparus. Liu, j’espère que ce jour est une chimère,
j’espère qu’il n’arrivera pas et je tiens à te dire que je suis réveillée, et
que nous sommes plusieurs à l’être. Un nombre encore minime, peut-être, un
nombre encore trop petit, mais nous nous disséminons comme du chiendent et
n’avons pas l’intention de nous taire.
Liu, au cours des derniers jours j’ai traduit de l’anglais
un de tes poèmes pour que les gens d’ici puissent entendre la force de ta voix,
sa subtilité aussi. Pour que les gens d’ici puissent entendre ton immense
talent d’écrivaine. Entendre ce poème de résilience et d’abandon qui se tient
bien droit face à l’oppression. Le voici :
La femme de la maison d’à côté est assise
tout le jour dans le jardin, elle regarde droit
devant. Personne ne sait pourquoi.
À la tombée de la nuit où par soir de pluie
une jeune fille parfois l’aide à rentrer.
Si la jeune fille l’oublie, ou n’existe pas,
la femme peut demeurer dans le jardin
toute la nuit, sans bouger
peu importe la température.
Les voisins racontent
que cette femme a aimé un homme,
a porté son enfant et,
après que son amour ait disparu,
est devenue folle.
La guerre, maintenant, est terminée.
Personne n’a vu la femme
dans le jardin depuis des jours.
Dans l’obscurité
la femme tient son visage entre ses mains
longtemps,
la jeune fille est couchée dans son lit
nue,
les yeux fermés durs.
Au bout du compte, la maison brûle
et met un terme à tout.
C’est la seule conclusion que la femme peut tolérer.
Au-dessus des ruines
le soleil hurle.
Liu, je ne peux te blâmer d’écrire que la seule conclusion
convenable soit celle des flammes, de la destruction et du chaos. Et je partage
ta colère.
Mais au-dessus des ruines tu hurles, Liu, tu hurles et je
t’entends.
© Photo Sophie Gagnon-Bergeron |
Laurence Ouellet Tremblay
***
Commentaires
Céline Dion a écrit : Livres comme l’air… Un propos
grave, un contenu dense, un dur rappel à la réalité, nécessaire, avec 4 femmes
de grande qualité. Bref, un moment fort du Salon du livre.
L’activité a commencé avec le Cant de la Sibilla, la
Sibilla catalane par Montserrat Figueras et La Capella Reial dirigée par Jordi
Savall — 90 secondes de tambours… le temps de préparer la scène. Après la
prestation, le chant de la Sibilla s’est poursuivi, soutenu par le chœur.
Émouvant!
***
Danielle Dubé a
écrit : Hommage
très réussi à l’intention des écrivaines emprisonnées dimanche 1er octobre au
Salon du livre de Saguenay. Plus de quarante personnes attentives. Un des plus
beaux évènements du Salon, nous a-t-on dit. Émouvant, intense et qui interpelle
vraiment... L’impression d’être au milieu d’un chœur de Troyennes Sagamiennes
toutes vêtues de noir. Des textes touchants, une mise en scène sobre et
élégante et d’excellentes lectrices. Comme si nous étions huit sur scène, en
présence d’Asli, Liu, Golrokh et Shamaël. Chaque écrivaine a apprécié son
expérience et l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES),
grâce à l’implication de Céline Dion, a magnifiquement
collaboré. Également Sylvie Marcoux, directrice du Salon du livre, qui a
accepté d’intégrer l’Hommage à l’intérieur de sa programmation.
***
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