Antonio Figueroa (Faust) et Gino Quilico (Méphistophélès)
© Andrée-Anne Lachaine photographie
Impressionnant! La version de l’opéra Faust de Gounod présentée par la Société d’art lyrique du royaume est remarquable. Même en mettant les bémols, indispensables lorsqu’on assiste à une répétition générale la veille de la grande première, tous nos sens sont fortement et agréablement imprégnés par cette interprétation. Une mise en scène étonnante très contemporaine de Guylaine Rivard, des décors ingénieux dont la sobriété s’habille d’éclat sous les jeux de lumières et les trouvailles astucieuses, un orchestre qui traduit toutes les nuances sous la direction de Jean-Philippe Tremblay et des solistes… ah! les solistes!
La SALR résume la trame narrative de sa production en quelques lignes : « Le docteur Faust, au déclin de sa vie, voudrait retrouver la jeunesse. Il invoque Satan qui, sous les traits de Méphistophélès, l’invite à boire la coupe de la Vie qui le transforme en jeune homme. En échange, Faust acceptera d’être son serviteur pour l’éternité… Faust tombe en amour avec la belle Marguerite qui, séduite par ses bijoux, lui déclare sa flamme et aura un enfant de lui. Rivalités amoureuses, emprisonnement, crimes passionnels s’ensuivent à travers une série d’intrigues captivantes, alimentées par des personnages attachants, et enveloppées par une musique envoûtante! »
Présentée en cinq actes, cette interprétation de Faust a un petit quelque chose qui n’est certainement étranger à la qualité de ses solistes. Tous sont excellents. Après une ouverture que les jeunes auditeurs, avec raison, ont écoutée dans un silence rare, les rideaux s’ouvrent sur un Dr Faust courbé sous le poids de son âge et de ses regrets. La voix superbe d’Antonio Figueroa s’empare de toute la salle. Il se donne vocalement comme physiquement, campant un Faust intense dont la passion nous convaincrait de devenir sa Marguerite. « Je veux la jeunesse » lance-t-il à un Méphistophélès superbement campé par Gino Quilico. Un personnage spectaculaire, satanique à souhait, dont la direction artistique a su exploiter tout le talent. Il livre avec Antonio Figueroa un duo d’une grande beauté. « La jeunesse t’aveugle, ose la regarder » chante Méphistophélès à Faust éperdu, alors qu’il hésite à vendre son âme. La beauté de Marguerite vaincra sa résistance. « À moi ces plaisirs » défie le vieux Faust qui, sa jeunesse retrouvée, n’hésite plus à faire sombrer la dame de son désir avec lui.
L'acte II met le chœur en vedette. Une joyeuse assemblée de jeunes du village et de soldats lors d’une collation de grade au cours de laquelle on découvre Caroline Gélinas. Dans le rôle touchant de Siebel, elle se dresse en rival contre celui qui convoite Marguerite interprétée avec retenue par France Bellemare. C’est ce soir, vendredi 16 février, que le public connaîtra leur pleine mesure, car la veille la prudence était de rigueur pour préserver les cordes vocales. Ce qui n’a pas empêché d’en apprécier certaines envolées en confirmant la richesse. À souligner aussi, la scène du veau d’or avec un Quilico flamboyant qui mènera le bal, bal de plus en plus endiablé où tous ne sont plus que des marionnettes.
Caroline Gélinas dans le rôle de Siebel
© Andrée-Anne Lachaine photographie
Au IIIe acte, on se retrouve dans le jardin de Marguerite, où tout est suggestion dans la disposition : là un salon, là une chambre, là un présentoir de bijoux. Une mise en scène de l’illusoire où la symbolique des lieux coïncide avec celle des sentiments. L’amour de Siebel qu’expriment les fleurs contre l’attrait des parures d’or qui est le piège de Méphistophélès afin de satisfaire la passion de Faust. « Si les fleurs l’emportent, je veux bien perdre tous mon pouvoir. » Comme s’il n’allait pas l’utiliser contre la candeur de Marguerite et l’hésitation de Faust troublé par un sentiment amoureux véritable qui pourrait dominer son désir. L’aveu de la victoire à venir sera fait devant le miroir alors que France Bellemare nous offre une version très personnelle de l’Air des bijoux. Un moment suave. Elle est convaincante chantant « Ce n’est plus moi, c’est la fille d’un roi qu’on salue au passage. » Comme si elle venait tout juste de découvrir sa beauté.
©Andrée-Anne Lachaine photographie
Tandis que Marguerite prend conscience de sa nature féminine, se joue une scène de séduction incroyable entre Méphistophélès et Marthe, incarné par Nathalya Thibault, ce phénomène de scène pour ses qualités vocales comme pour son jeu toujours expressif et efficace. Elle a un sens du théâtre qui nous ravit chaque fois. Elle se livre sans pudeur, avec une touche d’humour de bon aloi.
France Bellemare, Marguerite
©Andrée-Anne Lachaine photographie
L’entracte sera suivie des actes IV et V où l’intensité dramatique va croissant. De beaux tableaux se succèdent réunissant solistes et chœur. Marguerite dans l’église pour prier, cherchant le pardon et le réconfort après la naissance de son enfant et l’abandon de son amant. Méphistophélès s’y révèle dans toute sa puissance satanique. Gino Quilico a une telle prestance que l’on se sent envoûté par tout ce qui se dégage de sa stature et de sa voix. Le décor crée l’ambiance solennelle du lieu où les objets comme les personnes fusionnent pour évoquer à la fois le sacré et le diabolique.
Suit le retour de guerre des soldats chantant Gloire immortel de nos aïeux. Parmi eux, Valentin frère de Marguerite campé par Geoffroy Salvas, une autre belle voix de cette distribution, complétée avec assurance par Jean-Simon Boulianne dans le rôle de Wagner. La scène se termine par un duel opposant Faust et Valentin qui meurt sans accepter de pardonner sa sœur d’avoir été séduite : « Si Dieu te pardonne, soit maudite ici-bas. » Au dernier acte, l’opéra atteint son apogée. Toute la scène se transforme en prison. La scénographie de Chantale Boulianne, depuis le début, mais particulièrement dans cet acte est remarquable. Au centre, enchaînée, Marguerite attend l’exécution de la sentence pour infanticide. Faust tente en vain de la sauver. Chaque mouvement accompagne les voix dans ce combat des forces contraires. La disposition des personnages, le décor, les éclairages, le contraste des costumes, la robe blanche de Marguerite, le rouge et noir de Faust et Méphistophélès, le gris des figurants, tout cet ensemble forme un visuel équilibré, pur art d’un tableau de maître. C’est intense. Lorsque Marguerite, monte les marches de l’échafaud, ici suggéré par un escabeau, et que Faust tombe à genoux pour prier, l’émotion est palpable. Une finale saisissante, grandiose dans sa simplicité.
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Acte II : avant de partir en guerre,
Valentin, Geffroy Salvas, implore Siebel de veiller sur Marguerite
© Andrée-Anne Lachaine photographie
Il y aura encore beaucoup à dire sur cette production. La présence de deux fillettes, Madeline Bossé et Annlou Morissette, symbole de pureté, naïves souvent, séductrices parfois comme s'approchant du piège tendu par Méphistophélès. Ou encore les maquillages de Guillaume Lavoie, les coiffures de Luc Ladouceur, la performance du chœur dirigé par Annie Larouche. Et plus... C'était la générale. Imaginez ce soir.
Le mieux, c'est d'aller voir, de vivre ce moment majeur dans l'histoire de la SALR. Au Théâtre Banque nationale de Chicoutimi, à 19 h30 les 16 et 17 février, à 14 h le 18 février.
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous partager tes impressions, ta sensibilité.
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