dimanche 6 juillet 2008

NONO du Théâtre 100 Masques


Théâtre 100 Masques : Nono de Sacha Guitry
Frédéric Jean (Robert) et Marilyne Renaud (Madame Weiss)
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien



Le Quotidien
Arts, samedi 5 juillet 2008, p. 26



Nono de Sacha Guitry par
Le Théâtre 100 masques
Ambivalence entre appréciation et impression d'inachevée

Laforge, Christiane

CHICOUTIMI - Je regrette rarement d'assister à une pièce de théâtre. Au-delà de la prestation des comédiens, le théâtre m'apparaît comme un miroir capable de refléter les nombreuses variations humaines à la fois de la fiction et de la vérité profonde. La nouvelle production du Théâtre 100 masques, Nono de Sacha Guitry, l'illustre superbement.

Rarement toute la tension nerveuse d'une avant-première, toute l'intensité d'une volonté de se donner à fond dans son interprétation, toutes les modulations du doute et de la foi alternant selon les réactions du public étaient palpables au plus haut point comme ce jeudi soir.

Impossible d'échapper à cette curieuse ambivalence ainsi provoquée face à une représentation où les qualités nombreuses du jeu ne suffisent pas à compenser une impression d'inachevé. J'ai aimé Nono du 100 Masques. Cependant, je n'ai pas été conquise. Ambivalence disais-je?

Certes, jouer devant 16 personnes (jeudi soir) prive les comédiens d'une interaction souvent utile pour asseoir l'interprétation. Quoique j'ai déjà vu des comédiens jouer devant quatre personnes comme si elles étaient mille. La difficulté apparente à laquelle se buttent les cinq interprètes de cette œuvre quelque peu immature de Sacha Guitry (rappelons qu'il s'agit de sa deuxième pièce seulement, créée en 1905, alors qu'il n'avait que 20 ans) serait-elle de ne pas croire à leur personnage?

Le difficile équilibre

La mise en scène de Dario Larouche est très exigeante. Plutôt que d'y aller d'une interprétation conservatrice dans l'esprit léger de cette comédie, il verse sans réserve dans le burlesque.

Il pousse le "théâtral" à la limite de la caricature. Les comédiens doivent s'abandonner sans pudeur, exagérant les expressions des traits et des gestes, livrant une performance physique très athlétique. Une approche originale, audacieuse, très intéressante pour tout amoureux du théâtre qui en est témoin.

Mais le risque est grand. L'extrême demande beaucoup de maîtrise pour doser le tout sans tomber dans le piège de l'excessif. Jérémie Desbiens (Jacques, amant de Nono), plus dans le premier acte que le troisième, l'a bien démontré. Là où Frédéric Jean (Robert) semble un peu trop compassé, où Alexandre Larouche (Jules, le valet) un peu trop bouffon, Jérémie semble s'amuser avec élégance.

Les rôles féminins sont tout un défi. Maryline Renaud (Madame Weiss) entre sans retenue dans la personnalité criarde de la maîtresse vieillissante, au risque de heurter le spectateur. Son audace en ressort malgré tout gagnante, surtout dans la troisième partie où elle semble avoir trouvé ses repères. Une évolution qui sied bien à son rôle, lui-même allant de la victime geignarde perdant son amant à la dominatrice victorieuse au bras de la jeunesse. Émilie Jean (Nono) est plus instable dans ce jeu d'équilibriste où elle doit incarner la jeunesse ambitieuse et vénale en même temps que la naïveté attendrissante... pour ses deux hommes.

Des trouvailles

Tandis que le spectateur suit les pirouettes de Robert entre ses deux maîtresses, Jacques lui ayant imprudemment demandé de prendre soin de Nono pendant son absence, survient à quelques reprises quelques pauses publicitaires. Incongrues et pourtant bien intégrées dans la mise en scène, ces capsules sont très amusantes. Loin de rompre le rythme - lequel gagnera à être resserré - ces pointes d'humour ajoutent au comique de la situation. Les commanditaires de cette production ne sont pas que des noms inscrits sur le programme, mais des personnages surgissant en pleine fiction et nous faisant sourire.

Côté scénographie, les moyens modestes du Théâtre 100 masques sont largement compensés par des choix ingénieux. Beaucoup se joue sur les couleurs des costumes et des décors. Cette histoire en trois temps est ponctuée par le tout noir, le rouge et noir et le tout blanc des trois épisodes. Idem pour les accessoires, deux chaises, une table et la blancheur moqueuse de ces mets servis au troisième acte.

L'humour cinglant

Qui ne connaît pas cette phrase célèbre de Guitry : "Je suis contre les femmes, tout contre"? Son humour cinglant a dérangé la bonne société du temps de sa jeunesse.

Sa première pièce annonce la verve acide de cet auteur prolifique qui, souvent, ne manque pas de lucidité. À retenir, cette phrase du personnage s'interrogeant sur sa jeunesse qui demande : "Me donneriez-vous 25 ans?" - "Si j'avais 25 ans, je les garderais pour moi." Ou sur la longévité de sa relation : " Douze ans neuf mois quatorze jours que nous ne sommes pas mariés. "

Résumant bien l'esprit de cette comédie, Le 100 Masques explique dans son communiqué que "Le plus remarquable dans cette pièce (écrite en 1904), outre l'humour propre à Guitry, c'est sa cruauté. Le couple devient l'objet d'un plaidoyer féroce contre les institutions conjugales, qui n'ont pour conséquences inéluctables que le mensonge, la trahison, la feinte et l'adultère. Sous chacune des répliques, derrière chaque geste, sous le couvert de chaque personnage, l'être humain apparaît dans toute sa négative splendeur: froid, cynique, dur, calculateur, manipulateur. Cette petite historiette d'amour (assez convenue quand elle est prise au pied de la lettre...) prend une teinte de lutte acharnée pour posséder l'autre. L'enjeu: soi-même et son propre plaisir... "

Il s'agit du neuvième théâtre d'été du Théâtre 100 Masques à la Salle Murdock du Centre des arts et de la culture de Chicoutimi.


Catégorie : Arts et culture
Sujet(s) uniforme(s) : Théâtre
Taille : Long, 738 mots

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