Lucille Perron (Mrs. Venable) - Martin Giguère (Dr. Cukrowicz)
Maude Cournoyer (Catherine Jolly)
Dans Soudain l'été dernier de Tennessee Williams
© Photo - Les Têtes Heureuses (Producteur)
Bien que les représentations soient bientôt terminées, impossible de passer sous silence la plus récente production des Têtes Heureuses dont plusieurs personnes forts avisées ont dit tout le bien qu'elles en pensaient : Dario Larouche ici et là, Daniel Côté dans Le Progrès-Dimanche, Jacques Bouchard ici, Denise Pelletier là. Une voix discordante, Kevin Girard ici qu'on aurait tord d'ignorer. Tous ces avis nous confrontent à notre propre lecture de ce texte intense de Tenessee Williams qui, tout en nous reportant dans une Amérique où les choses se font mais ne se disent pas, des années 1950 et même antérieures, demeure très contemporain dans ce XXIe siècle en quête d'un puritanisme tout aussi hypocrite.
J'ai beaucoup aimé cette production des Têtes Heureuses. J'ai applaudi avec conviction à la mise en scène de Rodrigue Villeneuve, bridant ses interprètes à outrance pour que chaque voix occupe pleinement la scène. La parole plus que le geste!
J'ai admiré le jeu convaincant de Lucille Perron, campant une Violet Venable traduisant tout le snobisme d'une classe, tout le déni d'une mère incestueuse (en pensée )et toute la douleur d'une femme qui se sait reniée. Je me suis laissé fasciner par la puissance expressive de Maude Cournoyer qui se réfugie dans la folie pour ne pas affronter la vérité qui lui a été imposée lors de l'été tragique où Sébastian Veneble est mort. Pédéraste se servant de sa mère, puis de sa jeune cousine pour attirer à lui de très jeunes garçons, ce personnage, que l'on ne verra ni n'entendra jamais, habite toute la scène par la force évocatrice des récits. Martin Giguère, le blond médecin spécialiste de la lobotomie, instaure, par sa retenue et une certaine froideur qu'il s'impose, le fil conducteur entre la vision contradictoire des deux femmes.
La nettteté des décors dont les lignes pures et blanches assuraient une sorte d'équilibre dans cet univers démentiel, la lumière et la conception sonore cernaient les ambiances souvent dramatiques, parfois distantes provoquées par un texte d'une grande intensité. Des mots qui s'incrustent dans la mémoire, des images saisissantes dont le parallèle des oiseaux se jetant sur le jeunes tortues des îles Galapagos avec les enfants noirs se jetant sur l'homme blanc : les proies vengées.
Superbes Têtes Heureuses
Depuis leur première apparition, en 1982, Les Têtes Heureuses font du théâtre. Pas de la gestion, par de la « structurite » organisationnelle. Du théâtre dans le sens noble de cet art. Cette compagnie a fait école et nous a permis de vivre de grands moments. Leur façon d'être ne cadre pas avec les « critères » du ministère de la Culture. Comme l'expliquait Rodrigue Villeneuve au journaliste Roger Blackburn dans Le Quotidien, « La troupe de théâtre Les Têtes heureuses ne recevra plus de subvention du Conseil des arts et lettres du Québec. » Une somme de 30 000$ sur un budget global de 80 000 $ était versée cette année. Notons que la troupe a su maintenir un rythme de plusieurs productions annuelles sans faire de déficit.
Pourquoi couper l'investissement du Conseil des arts et lettres du Québec? « L'organisme gouvernemental voudrait qu'on embauche un directeur général à temps plein et du personnel dans un objectif de création d'emploi. » Comme si le salaire versé pour la mise en scène, les comédiens, les éclairages, les décors, la musique, les costumes et autres travailleurs n'étaient pas un soutien à plusieurs emplois. Des travailleurs professionnels qui ont ainsi l'occasion de travailler de leur art dans LEUR région pour le bénéfice d'un public qui peut compter sur un plus grand choix de productions théâtrales, incluant des grands classiques avec les Têtes Heureuses.
Oui, il y a des critères, présumés objectifs, conditionnels pour recevoir les « subventions » dites de fonctionnement. Mais ne pourrait-on pas penser que le résultat demeure le premier critère d'un Conseil des arts, sachant qu'il n'est pas si objectif que cela d'évaluer la rentabilité d'une troupe dans une région de 250 000 personnes comme une troupe métropolitaine où on dénombre un bassin de trois millions d'individus.
Interpellant ceux qui sont chargés de l’application des politiques et des programmes d’aide au fonctionnement des compagnies de théâtre, Rodrigue Villeneuve, cofondateur de la troupe Les Têtes Heureuses écrit sur leur site : « [...] comme vient de le prouver l’annonce par le CALQ de l’éviction des TH du groupe des compagnies aptes à « fonctionner ». Grilles, modèles, tendances, ignorance soft des réalités et des expériences hors-centres, ignorance tout court, peur ou mépris de la réflexion, étroit esprit de corps, tout ça partagé bien plus qu’on pense de part et d’autre de la clôture séparant les fonctionnaires et mes pairs. À Montréal, on se bat, avec raison, pour sauver l’église de Très-Saint-Nom-de-Jésus et son orgue exceptionnel. Les TH, petit « trésor national vivant » comme on les appellerait peut-être au Japon, ne mériteraient-elle pas, elle aussi, une bataille pour leur survie ? Nouvelle « fatigue culturelle » ? Si encore on pouvait imaginer que le problème puisse aujourd’hui, au Québec, se poser de nouveau en ces termes… »
Volonté de vivre
Bien sûr, la meilleure des subventions - nous devrions utiliser le mot investissement - demeure le prix du billet acheté. Non seulement il représente le désir de chacun de voir vivre ce théâtre, mais il permet, du moins on l'espère, la prochaine production. À ce sujet rappelons que Soudain l'été dernier sera présenté ce vendredi 12 novembre, à 20h, à l'Auditorium d'Alma.
Pour la saison hiver et printemps 2011, Les Têtes Heureuses prévoient aussi La mi-temps, texte et mise en scène de Jean-Paul Quéinnec avec Hélène Bergeron; Notes sur la mélodies des choses, texte de R.-M. Rilke, mise en scène et interprétation Rodrigue Villeneuve. Et en mars 2011 à Jonquière, Chantier naval, de Jean-Paul Quéinnec de la compagnie française Toujours à l'horizon (La Rochelle).
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Faut-il subventionner l'art qui s'autofinance ou celui qui demeure marginal et donc ne remplira jamais les coffres? S'il s'autofinance pas besoin de subventions. S'il n'est pas rentable, c'est que peu de personnes ou pas assez ne s'y intéressent. Dans une province championne des décrocheurs, l'art doit-il être au goût de la majorité et donc être rentable ou doit-il continuer d'être autant de portes ouvertes sur notre évolution? Pendant ce temps on lit (http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2010/11/03/015-subventions-petrolieres-canada.shtml) que : Une étude de l'Institut international du développement durable, dévoilée mercredi 3 novembre 2010, affirme que les gouvernements au Canada subventionnent les compagnies pétrolières à hauteur de 2,8 milliards de dollars par année. Les pauvres ont bien besoin de subventions!
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