samedi 23 novembre 2019

Ma lettre ultime à Gatien Moisan







Gatien, très cher Gatien,

De nos yeux à notre cœur, nous sommes nombreux à naviguer sur nos larmes versées devant l’inéluctable  absence de toi. Comment ne pas ressentir ce vide que tu laisses mon merveilleux ami. Toi, qui n’as jamais rien renié : l’amour, ta famille, tes amis et l’art que tu as transcendé toute ta vie.

Je t’ai connu alors que tu vivais sur la rive nord du fjord Saguenay. L’artiste que tu es ne voyait pas l’aspect visuel, tu en saisissais l’essence pictural. Tu y a intégré le corps de l’homme nu autant que la beauté de ta fille Mira. Toute ton œuvre témoigne de cette perception artistique et philosophique. Tu nous faisais comprendre que nous étions le tout. L’eau, la roche, l’humain, l’espace. Tu faisais partie de ce tout, toi l’humain omniprésent là où l’art vibrait. Tu as mis ton talent au service de nombreuses créations, comme peintre, concepteur de décors et professeur. Tu as mis tes heures libres à voir et entendre les artistes, devenus tes frères et sœurs d’art. 

L’amitié se fout du temps t’avais-je écrit dans le passé. Elle naît dans la complicité, la confiance et s’installe dans le cœur pour ne jamais en partir. L’amitié, c’est une histoire d’amour entre personnes qui se reconnaissent et se choisissent. Et passent les années. Le lien se tisse au fil des souvenirs. On finit par croire que la source de ce fil qui nous lie l’un à l’autre est sans fin. Il l’est. Oh! Oui. Il l’est dans le sentiment. Mais il fera quand même très froid, là, dans cette absence que nous impose ton départ.

Je me souviens de mars 2015. Le terrible diagnostic qui te frappait de plein fouet. Ton cerveau si génial, si ordonné, si créatif envahi par un crabe mortel. Et toi, l’artiste mathématicien, le perfectionniste des formes géométriques, l’apôtre de la règle d’or, tu riais de te savoir bientôt à la merci du désordre.

    -  Moi, qui étais toujours si mathématique, je vais devenir tout désordonné, me disais-tu de l’autre côté de la ligne téléphonique.

Et ton rire continue de couler sur ma peine.
Depuis 4 ans, les mois ont joué du tambour, scandant tour à tour l’inquiétude et l’espoir, jusqu’à nous convaincre de ta force capable de défier le temps. Tu nous subjuguais par ta sérénité face à la mort annoncée, l’apprivoisant pour mieux l’empêcher de t’enlacer. En témoigne cette photo de toi que tu avais publiée sur la grande Toile. Cette photo qui gifle ton destin. Cette photo à la fois terrible et sublime. Une fosse. Toi étendu au fond tandis que les racines s’étirent par-dessus ton corps immobile.

Devant l’inévitable, tu nous montrais cette photo prémonitoire. L’artiste s’emparant de son destin. N’as-tu pas fait cela toute ta vie? Tu le regardais et le défiais… L’art fut ton rempart. Confronté au voile noire de ta fin de vie, toi, Gatien Moisan, sous nos yeux ébahis, tu en as fait une œuvre d’art.

Esprit nomade, tu avais quitté ton Saint-Raymond de Port-Neuf natal, pour adopter le Saguenay-Lac-Saint-Jean, séduit à la fois par le cœur de Gilberte, ton admirable épouse, et par l’esprit du Fjord qui a imprégné ton œuvre lorsque tu vivais à Sainte-Rose-du-Nord. En 1981, tu te résignais à l’exil, faisant escale en diverses régions. Tu balisais ton existence au nombre de tes déménagements, jusqu’à ton retour à Chicoutimi, afin de suivre de près la carrière théâtrale de ta fille Sara.

L’homme en fuite c’est moi, me confias-tu devant tes œuvres où ton personnage est souvent happé par l’espace. Tu as dit, moqueur,  ma dernière résidence sera mon urne, quoique là encore, on pourra la déplacer.

Ne pas s’y tromper. L’humour de Gatien n’avait rien de sombre. Pas plus que ses peintures, solidement structurées par la règle d’or, si chère à son art qu’elle y est omniprésente.

Aujourd’hui, te connaissant, tu vas transformer nos larmes en fleuve pour t’en aller naviguer dans cet espace si souvent peint par toi sur de nombreuses toiles. Toiles devenues désormais pour toi voiles gonflées des vents sans temps.

Cher Gatien, tu disais : On fait partie de l’Univers et l’univers fait partie de nous

Par ton amitié, on a fait partie de ton univers et, je te le dis, tu fais partie de nous à jamais.


Christiane Laforge
Chicoutimi
23 novembre 2019


 Mes plus sincères condoléances à sa compagne Gilberte Dufresne, à ses filles Mira et Sara, à tous les membres de la famille, à tous ses amis. 




-->

3 commentaires:

  1. Si vrai, si beau, si sensible. Merci, Christiane.
    Gatien, bon voyage dans l'espace infini du souvenir...

    RépondreEffacer
  2. a chère Christiane. Toujours un plaisir à te lire! Ton hommage à mon ami Gastien est d'une poésie qui résume parfaitement son oeuvre. En cette circonstance, les mots expriment de la tristesse, mais aussi de l'allégresse que l'artiste Gastien dégageait très souvent dans ses oeuvres. Personnellement, j'ai toujours été fasciné, non seulement par son talent,
    mais aussi, cette façon très personnelle, originale et avant-gardiste de recréer notre monde actuel. Avant de partir en Italie début octobre, j'ai eu le plaisir de lui parler. Au bout du fil, affaibli, il trouvait encore de l'énergie pour me souhaiter un voyage extraordinaire et qu'il partageait avec moi, mon bonheur d'être parmi les chefs d'oeuvres de l'Histoire de l'Art. Un astre de plus brille au-dessus de nos têtes. C'est une ÉTOILE D'OR (Art) - Le plaisir d"être - Guytay TREMBLAY - artiste multidisciplinaire.

    RépondreEffacer