L’année 2013 arrive à son terme. Voilà donc 14 ans accomplis dans ce XXIe siècle qu’on espérait lumineux, forts que nous sommes des avancées de la science, de l’accessibilité à la connaissance et surtout de l’évolution de cette humanité en marche.
Voiture à énergie solaire |
Au siècle dernier, notre imagination ne tarissait pas sur les couleurs de ce futur. Nous pensions chevaucher des coursiers de métal volant, pour rencontrer nos frères humains sur une planète aux frontières abolies. On a même cru pouvoir éradiquer la faim et taire à jamais le bruit des canons. Nous avions les moyens de guérir, d’instruire et de chérir. Un véritable délire de science-fiction!
Le 31 décembre, dans la chaleur de mon foyer, entourée de mes amours — mon amoureux, nos enfants, petits-enfants, amis — je ferai la fête à l’année moribonde. Un deuil festif afin d’ouvrir grand les bras à 2014, mon optimisme suffisamment naïf pour la croire l’année de tous les possibles.
Mais ce deuil sera aussi corrosif. Si 2013 a été une année des plus heureuses, parée de moments intenses, de présences chaleureuses, de partages généreux, d’enthousiasmes fréquents, d’une énergie retrouvée, c’est aussi l’année de nombreuses déceptions quand, par la fenêtre ouverte de mon navigateur, j’entends les cris du monde. L’écho charrie un sombre présage. Cette humanité en marche est en train de reculer.
Fjord Saguenay |
Dans cette terre au nord de l’Amérique, dans cette région si belle qu’on oublie que la laideur existe, dans le confort d’un foyer que j’ai construit, fruit de mon travail et de ma prévoyance — plus encore de ma chance d’avoir eu un travail et les moyens de prévoir — je peux facilement vivre dans le déni de ce qui se passe de l’autre côté du miroir. Moi, Alice au pays des merveilles sous la protection d’un grand lapin blanc, je n’ose suivre Celia aux pays des horreurs saccagés par de grands requins noirs.
Lac-Mégantic 2013 |
Depuis 14 ans, j’assiste à la ruée vers une exploitation anarchique de tout ce qui peut se traduire par une croissance de profits insensés. L’appât du gain est si fort qu’il aveugle une cohorte de gestionnaires, assurés de revenus et primes de retraite indécents, voués à réduire les emplois. Soutenus par des discours où les pontifes de l’économie, insouciants des ravages d’une spéculation débridée, bêlent leur mépris des syndiqués osant défendre un travail décent, de nombreux employeurs s’acharnent à fragiliser les emplois. La précarité et la peur au service de la docilité et de l’exploitation. Concurrence, croissance du profit sont leur credo. Qu’importe le prix humain!… Après avoir plongé l’économie mondiale dans une crise qui se prolonge, les banquiers se targuent de leur bonne gestion :
« Les grandes banques canadiennes ont encore une fois engrangé des profits considérables au cours des douze derniers mois, en raison notamment de l’augmentation des frais bancaires. […] Au total, près de 30,3 G$ ont été amassés en bénéfice net par les six grandes banques canadiennes. Cela est conforme aux prévisions des analystes publiées en début de semaine. » (source Jean-François Rousseau/Argent)
Des frais bancaires qui ne cessent d’augmenter. Et moins vous avez d’argent, plus élevés ils sont. La logique?
Ces dernières années, si révélatrices de la corruption endémique de dirigeants, sont les années où la répression de l’État n’a cessé de s’imposer brutalement et de se légaliser. Légal n’est pas synonyme de juste. Les droits des citoyens s’amenuisent. Le pouvoir de se défendre aussi. Que peut-on contre une minière qui convoite votre sous-sol? Que peut-on contre la spéculation immobilière qui explose les évaluations et du même souffle les taxes? Une spéculation qui a également une incidence dramatique sur la hausse du coût des loyers. Indignez-vous en silence. Le droit de manifester son mécontentement est muselé à peine murmuré. Une démarche légale peut être déclarée illégale et vous voilà soudainement à la merci d’une décision arbitraire des policiers. (Règlement P-6 à Montréal. Même modèle à Québec, Saguenay et Alma). L’Espagne prépare un projet de loi pire encore. Cette même Espagne qui, sous la pression idéologique des religieux, en revient à criminaliser l’avortement. Démontrant que rien n’est acquis dans le domaine des droits de la personne.
Nos droits, quels sont-ils dans un monde où des mafieux connus circulent en toute liberté dans nos cités tandis qu’un Claude Robinson a dû investir 18 ans de sa vie et accumuler une dette de plus de trois millions de dollars pour faire reconnaître ses droits de créateur? Une victoire où le héros dépouillé doit affronter les vaincus dans leur forteresse protégée afin de récupérer ce qui lui est dû.
2013 tire à sa fin. Mon âme est en berne.
Le 31 décembre, je vais célébrer avec les miens. Je veillerai à ne pas leur dire que je suis enragée et que je fais miens ces mots de Félix Leclerc dans L’alouette en colère, pour dire que moi Qui ne croit ni à dieu, ni à diable, ni à moi, j'ai un fils écrasé par les temples à finances où il ne peut entrer et par ceux des paroles d'où il ne peut sortir. J'ai un fils dépouillé […] locataire et chômeur dans son propre pays. Moi qui suis révoltée, je sens en moi dans le tréfonds de moi, malgré moi, malgré moi pour la première fois, malgré moi, malgré moi, entre la chair et l'os, s'installer la colère.
Nos droits, quels sont-ils dans un monde où des mafieux connus circulent en toute liberté dans nos cités tandis qu’un Claude Robinson a dû investir 18 ans de sa vie et accumuler une dette de plus de trois millions de dollars pour faire reconnaître ses droits de créateur? Une victoire où le héros dépouillé doit affronter les vaincus dans leur forteresse protégée afin de récupérer ce qui lui est dû.
2013 tire à sa fin. Mon âme est en berne.
Le 31 décembre, je vais célébrer avec les miens. Je veillerai à ne pas leur dire que je suis enragée et que je fais miens ces mots de Félix Leclerc dans L’alouette en colère, pour dire que moi Qui ne croit ni à dieu, ni à diable, ni à moi, j'ai un fils écrasé par les temples à finances où il ne peut entrer et par ceux des paroles d'où il ne peut sortir. J'ai un fils dépouillé […] locataire et chômeur dans son propre pays. Moi qui suis révoltée, je sens en moi dans le tréfonds de moi, malgré moi, malgré moi pour la première fois, malgré moi, malgré moi, entre la chair et l'os, s'installer la colère.
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Avoir si bien les mots pour dire. Un texte percutant. Mes hommages.
RépondreEffacerJean Luc Vanderman