mercredi 26 novembre 2008

Dieudonné à Chicoutimi







Le Quotidien

Actualités, samedi, 1 novembre 2008, p. 4

Dieudonné appuie là où ça fait mal

Christiane Laforge

CHICOUTIMI - Ne cherchez plus du vitriol. Dieudonné a tout consommé.

J'ai fait l'con, annonce-t-il dans le titre de son nouveau spectacle. Moi non plus a répondu un public jaune-hilare, hier soir, à l'auditorium Dufour de Chicoutimi.

C'est que le très controversé humoriste français appuie là où ça fait mal. Difficile de garder les yeux fermés sur les drames d'une humanité malade de surconsommation et de ses ambitions économiques. Comment s'absoudre des fautes passées quand elles sont commises dans le présent?

"L'humour, c'est tout ce qu'il me reste", déclare-t-il après avoir brossé quelques scènes d'horreur.

Des histoires qui ont fait rire une salle de 350 personnes, où jeunes et moins jeunes ont démontré qu'ils étaient très au fait de l'actualité internationale, de la politique européenne, africaine, américaine et tout autant des hauts faits des plus grands criminels.

Évoquant le boycott que lui font subir les médias français, Dieudonné a très vite répondu aux attentes de son public, paré à entendre la rumeur voulant que Le Pen ait accepté d'être le parrain au baptême de sa fille. Tous les moyens sont bons pour faire parler de soi, faut-il comprendre, "Puisque, ose-t-il dire, si tu as pas de kippa dans une agression, on ne se déplace pas."

L'acuité du regard qu'il porte sur les comportements sociaux n'a d'égal que le verbe acide dont il use pour nous renvoyer l'image de ces "voyeurs" friands des actes odieux et des scandales dans lesquels se complaisent les médias. Quoique les coups les plus violents qu'il assène demeurent son récit sur les Pygmées. Le parallèle entre la déforestation condamnant les Pygmées d'aujourd'hui à disparaître et le sort des Amérindiens il y a 400 ans en est un bel exemple.

"Les autochtones, sous prétexte qu'ils sont là depuis toujours, ils se croient chez eux", lance-t-il.

"Mais il est où ton pouvoir d'achat?" demande-t-il au personnage fictif qui semble ne pas comprendre l'importance du pipeline traversant l'Afrique pour transporter le pétrole si "essentiel" aux Américains.

Dieudonné n'hésite pas écorcher quelques politiciens, Powell, Sarkozy, Bush et Harper, au grand plaisir du public qui manifeste son approbation. Son Colin Powell allant devant l'ONU avec "la preuve irréfutable" de l'existence des armes de destruction massive en Irak, l'interview des mères, frères et fils de criminels célèbres, les allusions à Condoleeza Rice comblent la salle qui réagit à tous ses coups.

Grinçant

Il y a des moments très intenses dans ce spectacle d'humour grinçant.

On regrette cependant certaines longueurs. Le sketch mettant en scène le président du Cameroun et une journaliste traîne en longueur et fait perdre de l'efficacité à des répliques, malgré toute l'ironie qui s'en dégage.

Les interventions du personnage, jouant le rôle de metteur en scène, n'apportent rien au spectacle. Au contraire, elles coupent le rythme et atténuent l'intensité créée par l'humoriste.

Le spectacle de 90 minutes, sans interruption, s'est terminé dans l'émotion alors que Dieudonné a récité un texte sur la Palestine dans le style de son ami, le chanteur Claude Nougaro, auquel il a emprunté l'accent teinté de soleil pour prêter sa voix à un jeune kamikaze palestinien. Un beau moment.

Irrévérencieux, cru et mordant, l'humour de Dieudonné est d'une redoutable efficacité. Serait-il un miroir, non déformant, renvoyant à chacun son image? Mieux vaut en rire! L'humour n'est-il pas tout ce qu'il nous reste? o

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vendredi 14 novembre 2008

Obama, 44e président des USA



Le 4 novembre dernier, plutôt que d’assister, à la salle François-Brassard du Cégep de Jonquière, à la représentation inattendue de «Barabbas dans la passion l'origine du premier clown noir», que je me réjouissais pourtant de voir enfin, j’ai succombé à la tentation de suivre le dépouillement du vote des Américains. Je voulais assister en direct à la fin du règne républicain et à l’élection du premier président née d’une femme de race blanche (Ann Duham) et d’un homme de race noire (Barak Hussein Obama Sr.). Je savais que le Théâtre du Faux-Coffre m’offrirait, le printemps prochain, une autre chance de les voir sur scène. Je n’avais que ce 4 novembre pour assister à cette élection sans précédent.

Au moment de choisir leur candidat à la présidence, les Démocrates ont préféré Obama. J’aimais les qualités d’Hillary Clinton. Mais bon!… on est en démocratie.

Ils ont eu raison. Les Américains ont élu Barak Obama. En fait, 349 grands électeurs sur 538 l’ont élu, ainsi que 95% des Afro-Américains, 60% des Latinos et asiatique, 56% des femmes, 66 % des jeunes de moins de 29 ans, 52% des 30-44 ans, 50% des 45-59 ans sur les 64,1% Américains ayant exercé leur droit de vote. Parmi la population blanche (74% des Américains), Barak Obama a obtenu 43% des suffrages contre 55% pour McCain.

Un homme à la peau noire accède à la présidence des États-Unis.

L’incroyable d’un temps révolu est maintenant arrivé.

Y pensant, ces derniers jours, me sont revenus ces mots de mon enfance : « Après des siècles et des siècles d'esclavage, le Belge sortant du tombeau a reconquis par sa force et son courage son nom, ses droits et son drapeau. » (3e version, 1860, de la Brabançonne). Quand l’oppressé se redresse, il y gagne en grandeur

Le symbole est beau!

Le discours de Jon Favreau, oh! pardon… le discours d’Obama, chargé d’une force émotive impressionnante, a su l’exprimer. Et ce récit de la dame centenaire afro-américaine, témoin vivant de nombreux changements sociaux et politiques, quelle image puissante!

Depuis le 4 novembre, les commentateurs utilisent les mots : espoir, rêve, changement. Les attentes sont si grandes à l’égard d’un seul homme que je m’inquiète.

Non non, je n’aurais pas voulu de McCain. encore moins le jour où il nous a présenté Sarah Palin comme aspirante à la vice-présidence. Je n’ai pas l’esprit républicain. Farouchement libre penseur, je crains les gens de droite autant qu’ils me désolent.
Mais que de questions encore sans réponse sur ce 44e président d’un pays que 53% des 64,1% votants, soit environ 34% des Américains de 18 ans et plus, ont élu.

Mon rêve à moi… peut-être la prochaine étape dans cette évolution : une femme multiraciale, socialiste et athée à la présidence des Etats-Unis?

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samedi 1 novembre 2008

Jérémie Giles


Jérémie Giles
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien

L'art au service d'une cause humanitaire est une constante dans notre société québécoise. Jérémie Giles en a fait un code de vie depuis longtemps. Le peintre sculpteur de Jonquière a présenté une grande exposition de 75 tableaux, inaugurée le 2 octobre dernier, à l'Agora de la Maison du Citoyen de Gatineau. L'ensemble des œuvres ont été mises en vente sous forme d'encan silencieux au profit de La maison Mathieu-Froment-Savoie, centre de soins palliatifs fondé en 1999 à la mémoire du jeune violoncelliste prodige Mathieu Froment-Savoie, mort d'un cancer à l'âge de 13 ans.

Sur les toiles peintes au nom d'un jeune artiste, Jérémie a composé les couleurs des lieux aimés de sa vie. Ses Extraits du pays portent un regard appuyé sur la beauté de sites particuliers, croqués au crayon ou à la caméra dans les territoires variés de ses pérégrinations à travers le Québec. Homme de toutes les terres, plutôt que de se faire le chantre d'un seul pays, le peintre capture l'essence du lieu unique pour en extraire ses traits universels. C'est ainsi que ses paysages peuvent être de partout dans l'univers nordique, tout en nous étant familiers dans la force évocatrice de ses eaux et la luxuriance de ses forêts.


© Toile de Jérémie Giles
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien

Du portrait au paysage, du figuratif à l'abstrait, les techniques de l'art n'ont pas de secret pour lui. Explorateur d'expérience, il ne s'impose aucun style, sinon le sien, préférant adapter son coup de pinceau à l'intention qui sous-tend un projet. Pour cet encan silencieux, le langage de ses toiles était celui du paysage.

« Le paysage pour moi, ce n'est pas la maison dans un décor, ni l'homme ni l'animal... Je ne m'intéresse pas à ça. Notre paysage c'est d'abord le ciel, le roc, la flore et l'eau. Je veux me concentrer sur l'aspect du paysage vierge. Essayons d'apprécier l'esthétique des choses plutôt que la reconnaissance. »

Concepteur et réalisateur de vastes projets, Jérémie Giles annonce que cette exposition était la dernière d'une telle ampleur qu'il réalisera. Il a puisé dans ses réserves de collections antérieures pour compléter le nombre imposant des toiles, bien qu'une grande partie ait été conçue au cours de la dernière année. Une tâche d'envergure dont il ne s'est laissé distraire que par quelques sculptures, dont deux bustes de peintres du Saguenay (Jean-Paul Lapointe en 2007 et Jean Laforge en 2008) et, pour bientôt, un bronze grandeur nature de Mathieu Froment-Savoie jouant du violoncelle. S'ajoute une intéressante exploration d'une théorie en art visuel qu'il nomme le
parcellisme.

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L'exposition
Extraits d'un pays n'est pas la première du genre que réalise cet artiste. La liste est longue des entreprises d'envergure qu’il a menées à bien. Sa force réside dans un caractère fonceur autant que frondeur, indépendant jusqu'à l'absolu, qui n'a jamais retenu le sens du mot impossible.

Qu'une idée traîne dans les parages, Jérémie Giles la cueille comme d'autres ramassent les coquillages. Il ne se contente pas d'écouter le chant de l'océan d'une coquille vide collée à son oreille. Il n'aura de cesse que s'il parvient à faire entendre ce chant à tous les autres.

L'art est un miroir

Il a tenu plus de 46 expositions solos et 32 expositions de groupes. Fondateur du Symposium de peinture de Baie-Comeau, il y avait bâti et animé le Centre d'art Manicouagan, lieu de rencontre des grands poètes et peintres réputés, jusqu'en 1992. Passionné d'histoire et de sciences naturelles, il a réalisé deux importants centres d'interprétation des sciences de la terre, le plus récent étant l'Écomusée de Hull, inauguré en 1997.

Créateur de plusieurs dessins armoriaux et de plusieurs sculptures publiques pour des villes québécoises, il a sculpté l'explorateur Samuel de Champlain, une œuvre de trois mètres de hauteur coulée en bronze, inaugurée à Gatineau en septembre 2004 pour commémorer le 400e anniversaire de l'établissement de la première colonie française en Amérique.

Pédagogue-né, l'artiste accepte difficilement les limites. Las des restrictions budgétaires et coûts faramineux des droits de reproduction, il a trouvé un moyen original et exceptionnel de monter une exposition thématique sur l'expression identitaire canadienne à travers la peinture. À défaut de rassembler des œuvres témoins, Jérémie a contourné tous les obstacles dans une démarche titanesque se traduisant par une exposition itinérante de 72 tableaux, signés Jérémie, représentant autant de peintres canadiens décédés.

Cette collection complète porte le nom L'art est un miroir car, explique l'artiste:
« L'identité d'un peuple correspond à sa façon de s'exprimer et aux moyens qu'il emprunte pour le faire. Les arts, sous toutes leurs formes, sont justement les fenêtres à travers lesquelles les autres nous perçoivent et nous reconnaissent. »

Jérémie a brossé le portrait de 72 peintres sur une toile de fond reproduisant, dans le style propre à l'artiste représenté, une de ses toiles. Du Ayotte, du Borduas, du Cosgrove, du Fortin, du Jackson, du Krieghoff, du Pellan, du Villeneuve, de la main d'un peintre unique.

Un travail de quatre années de recherche et d'exécution.
« C'était un défi, dans le sens que je m'apercevais que la grande majorité ne distinguait pas ce qu'était l'art canadien. Je ne voulais pas projeter des diapositives sur un artiste, mais faire une lecture de son art, de sa démarche. »

La collection circule dans l'Ouest canadien. Viendra-t-elle au Saguenay-Lac-Saint-Jean? Il en coûterait moins de 10 000 $, mais cela semble trop cher pour nos institutions muséales.



L'art donnera-t-il un nouveau sens au mot parcellisme? Loin de l'entendre comme l'éparpillement d'une force commune, Jérémie Giles verse dans son
isme l'anoblissement du détail.




© Jérémie Giles - Toile peinte reproduisant une parcelle
d'une toile figurative (voir photo suivante)
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien


© Jérémie Giles - L'encadré intérieur cible la parcelle
destinée à être reproduite en grand.
(voir photo précédente)

© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien


Démontrant que la composition globale d'une toile est la somme de parties équilibrées, il en extrait une parcelle minimale qu'il reproduit en grand.

« Je me demandais depuis ma vingtaine: pourquoi faut-il que l'image soit représentative de quelque chose ou de quelqu'un pour être appréciée? Pourquoi les formes et les couleurs ne peuvent-elles pas à elles seules communiquer un sentiment aussi puissant que celui de l'image identifiable ou reconnaissable? »

La question exigeait une réponse. «Cela m'a incité à explorer les moyens capables de démystifier ce passage du figuratif au non-figuratif tout en permettant d'apprécier également l'une ou l'autre forme d'image. »

Entraînant divers observateurs non initiés dans sa démarche, Jérémie a constaté que la personne, découvrant comment on pouvait extraire une image dite abstraite d'une image figurative, se montrait beaucoup moins réticente à observer et sentir des œuvres moins conventionnelles. « J'ai toujours pensé que l'œil évoluait lorsque la ligne qui sépare les deux formes d'art s'estompait. »

Pour inaugurer la présentation publique de sa démarche et illustrer le parcellisme, l'artiste juxtapose la toile figurative et la toile non figurative, reproduisant une parcelle agrandie de la première.

« En choisissant d'encadrer une parcelle d'un sujet ou d'une image dont nous sommes l'auteur, de transposer celle-ci sur une surface agrandie, on réalise ainsi un tableau parcellaire. C'est-à-dire que cette création est une composition faite selon les valeurs chromatiques, de lignes et de formes et surtout, selon un certain ordre esthétique. Ainsi, est né le parcellisme, une oeuvre abstraite, mais néanmoins concrète. »

Dans l'histoire de l'art, on apprend que les courants artistiques sont le résultat d'explorations menées dans l'univers des mots, des sons, des formes et des couleurs. Le peintre invite les créateurs à ouvrir grandes les fenêtres aux risques et périls de passer pour un illuminé. Il conclut: «L'image n'a jamais eu à être identifiable pour être signifiante, exaltante et inspirante. »

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Ce texte est la reprise modifiée d’un reportage signé Christiane Laforge
publié dans le Progrès-Dimanche du 28 septembre 2008