samedi 30 juin 2007

La fabuleuse déception

La nouvelle Fabuleuse...


Hier, minuit, heure de cendrillon, après avoir vu La nouvelle fabuleuse ou l’histoire d’un Flo, j’ai quitté le Théâtre du Palais municipal de La Baie avec précipitation. Je n’y ai pas échappé ma pantoufle de verre. Il n’y avait rien de princier dans ce spectacle qui, à défaut de le surpasser, fort de 20 ans d’expérience, aurait dû au moins égaler l’inoubliable et défunte Fabuleuse histoire d’un royaume.

Fallait-il aller chercher Serge Denoncourt et Michel-Marc Bouchard (à quel prix ?), ainsi que les voix de comédiens depuis longtemps partis de leur région natale pour orchestrer un spectacle si peu flamboyant? Une comédie plutôt qu’une fresque historique, puisant abondamment dans le regard étranger à l’esprit du fjord pour n’en ressortir, sous forme d’humour (ou moquerie ?), que les clichés les moins subtils.

Qu’ils soient du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Québec ou d’Europe, le public du XXIe siècle a connu l’émerveillement des grands spectacles soutenus par les technologies les plus modernes au service d’effets magiques sachant surprendre, étonner et combler tant l’esprit que le regard. Ce public risque fort d’être déçu et de repartir avec une idée fausse de ce que nous sommes capables de réaliser.

Le texte de Michel-Marc Bouchard, dépouillé de ses nombreuses longueurs, serait mieux servi - et nous aussi - dans un théâtre d’été, où le regard humoristique de l’auteur et la romance entre Flo et la belle indienne prendraient leur véritable dimension. On pourrait alors mieux en savourer les petites perles d’humour et rire avec lui de la naïveté sympathique de ses héros.

«Ne pas comparer, mais s’ouvrir à un spectacle différent», nous a-t-on demandé lors de la présentation. Je veux bien. Cela n’excuse pas la pauvreté du jeu des jeunes comédiens dans une région où foisonne le talent, ni une mise en scène qui n’a pas su tirer profit des moyens financiers importants mis à sa disposition, pas plus que d’une scène dont la conception a été conçue pour plus d’imagination et d’audace.

Une fabuleuse déception!

mercredi 27 juin 2007

Lettre à Jean-Paul Lapointe

En septembre 2006, Jean-Paul Lapointe m'accordait une des plus émouvantes entrevues de ma carrière. Nous avons parlé de sa mort, de sa peur et de sa souffrance. Le reportage a été publié dans le Progrès-Dimanche du 17 septembre 2006. Je ne pouvais prendre mes distances à l'égard de cette confidence, car au-delà de la journaliste il y avait l'amie troublée. Publiée dans la chronique Art-Édito, cette lettre a suscité de nombreuses réactions et l'on m'en a demandé souvent une copie, à l'instar d'un certain Jean-Pierre, dans son commentaire laissé sur ce blogue le 24 juin. La voici donc.

Lettre à Jean-Paul Lapointe
Artiste peintre et ami

par Christiane Laforge

Cher Jean-Paul,

Depuis deux jours, à l’occasion de l’événement La Route de la Maestria, tu accueilles les visiteurs qui se présentent chez toi. Sur le chevalet de l’atelier, la toile commencée lors de notre entrevue est peut-être terminée. Une autre suivra. Tu n’as pas l’intention de déposer le pinceau ni d’éteindre la luminosité de ta palette... quoique le bleu de la nuit l’envahisse tout doucement.

Sans doute continues-tu de répondre: «Ça va bien, ça va même assez bien» tout en laissant entrer le visiteur, parce que tu as la ferme intention de continuer ta vie tant que tu le pourras. Tu termines le dernier été des 71 années de ton existence. Il n’y en aura plus d’autres. Le cancer t’impose sa loi. Le savoir est infernal, m’as-tu confié.

Avec ta générosité habituelle, tu m’as permis de signer, cette semaine, le reportage le plus difficile de ma carrière. Se perdre dans le regard d’un ami, sachant que le temps nous est compté, lui donner une parole qu’il dit avoir perdue, cueillir les mots rares et précieux de son âme d’artiste, est un privilège. La confiance de ton abandon m’a bouleversée.

Il est 8h25, vendredi 15 septembre 2006. J’écris ces lignes dans le brouillard d’une peine anticipée. C’est bien cela, dis-tu, qui est le plus difficile pour toi: imaginer le chagrin, pressentir le désarroi, deviner le vide de l’absence que ressentiront ceux que tu aimes et voudrais protéger bien au-delà de ta mort prochaine. Cette angoisse-là, tu la gardes secrète dans ton silence, qu’exceptionnellement tu as fait taire au cours des quelques heures de notre rencontre.

Je voudrais tant trouver les mots consolateurs. Les paroles anesthésiantes. Déserrer l’étau implacable dont je connais trop bien l’étreinte. Tes amours, tes amis, tes enfants, tous n’ont qu’un seul pouvoir, celui de t’assurer de leur propre force, de leur capacité d’affronter ton départ. Ne fais pas tienne cette douleur-là. Ne l’ajoute pas à ta blessure.

Lorsque je regarde la pénombre des bleus dont tu couvres tes toiles récentes, je sens que nous en sommes-là... au crépuscule. Tu sais en peindre la douceur, les subtiles nuances, traduisant cette hésitation involontaire entre le regret du jour qui s’éteint et l’insondable mystère de la nuit qui approche. Ne pense à rien d’autre, puisque tu reconnais que de peindre te distrait de la peur.

Du bout de ce pinceau qui prolonge ta main d’artiste, c’est la trace de tout ce que tu es qui jaillit. Une trace qui survivra, à toi, à nous, comme les toiles de ce groupe des sept peintres canadiens qui ont inspiré ton enfance.

Je sais. Ce que j’écris ne te rendra pas le temps de vivre. Mais il y a urgence, pour moi, pour d’autres aussi, de te dire l’admiration, la reconnaissance, l’amour. C’est le cadeau que ton témoignage nous permet de t’offrir très cher Jean-Paul, alors que tu es là bien présent avec nous.

Certains disent «à jamais». Je te dis «à toujours».



Art-Édito
Progrès-Dimanche,
17 septembre 2006
http://www.cyberpresse.ca/section/CPQUOTIDIEN

dimanche 24 juin 2007

24 juin

Ce 24 juin, Fête nationale des Québécois depuis 1977, sera-t-il jour de ma mémoire ? Suis-je Québécoise, moi qui ne suis pas née ici ? Je crois depuis longtemps qu’un pays appartient à celui qui le construit. Qu’il n’y a pas droit de naissance, la naissance étant fortuite et non voulue. L’appartenance est un choix libre, affirmé par la présence active, par la contribution au développement d’un pays, par l’adhésion respectueuse à l’âme d’une nation, s’exprimant par sa langue et son idéal social. Je me revendique de ce Québec dont l’identité s’exprime par sa langue et sa pensée française dans un environnement nordique anglo-américain.

Ah! cette langue française, si belle, si riche et subtile, si nuancée... et tant massacrée, tant trahie par nos médias, nos politiciens, nos auteurs et nos enseignants!

Un soir de décembre 2005, dans la joie d’une soirée, pour moi très importante, j’ai parlé de mon amour de cette langue française qui m’est si chère. Je disais :

Hier, je n’aurais sans doute pas écrit un texte pour exprimer ce que je ressens. J’aurais laissé couler les mots sur l’émotion. Aujourd’hui, plus sage... plus prudente, j’ai réagi du bout des doigts sur le clavier. N’est-ce pas ainsi que je vis ma vie depuis des décennies : par mes doigts, fleuves de mots pour lesquels vous me récompensez aujourd’hui ?

Ma joie est grande d’accepter le Prix Jules-Fournier 2005 du Conseil supérieur de la langue française, parce que ce prix me conforte dans un amour inconditionnel à l’égard de cette même langue française.

Je suis née en Belgique. Autre pays de la francophonie où l’on égrène les dizaine de septante à nonante, tout en escamotant l’octante de la Suisse. Je suis née au Québec, à l’âge de neuf ans. Autre pays de la francophonie où le langage «s’abeaudit» des mots anciens que les marins ont déversés sur nos plages. Pour moi, comme pour vous, le mariage de ces deux mondes a engendré une langue française spécifique, unique, vivante, vibrante, qui s’éclate dans nos courriels plutôt que de se laisser étouffer sous les bancs de neige.

C’est par les mots de cette langue française... mieux... c’est par les mots de cette langue française du Québec que j’ai franchi toutes les étapes de ma vie professionnelle, culturelle et sociale. Ce que je pense, ce que je lis, ce que j’écoute, ce que j’écris porte les couleurs aux multiples nuances du langage acquis ici, en terre québécoise, qui plus est du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

L’étudiante, formée en arts et lettres, jadis engagée pour classer des photos au Progrès-Dimanche, aujourd’hui journaliste au journal Le Quotidien, a grande envie de dire merci. Merci à ces personnes qui depuis trente ans me permettent d’écrire dans ma propre voix. Me permettent d’user de cette langue française, avec ses mots d’indépendance créés pour éviter l’acculturation linguistique dont nous menace la mondialisation, avec ses mots encore vibrants des échos des abordages d’à peine 500 ans, avec ses expressions uniques issues de nos saisons, avec le métissage des identités, confrontées autant qu’alliées, dont nous sommes les porteurs, nous journalistes, et les héritiers, nous les écrivains.


Ces mots qui ont été soumis à votre regard critique, jurés de ce prix, sont les mots d’une identité que je revendique. Là où Vigneault chante « Mon pays c’est l’hiver », j’écris « Mon pays c’est ma langue », aussi mon identité et ma fierté.

Merci de me permettre d’y croire, ce soir encore plus.

Christiane Laforge
3 décembre 2005

dimanche 17 juin 2007

Fête des pères

Cher papa,

Tu n’es plus là pour entendre tes trois fils et ta fille te dire combien tu es important. Père longtemps absent, le temps de notre enfance... la guerre, l’exil..., mais père devenu si présent à tous nos S.O.S. d’enfants devenus grands. Tu aimais toutes les fêtes et celle des pères ne faisait pas exception. Tu attendais, fébrile, que sonne le téléphone, te demandant qui serait le premier. Et bien que tu m’interdises de te faire un cadeau, tu tentais de deviner la surprise qu’immanquablement je te réservais.

Cela me manque papa. J’aimais te gâter. Tu savais recevoir et c’était une joie de voir s’allumer ton regard, comme si c’était possible de l’allumer plus encore, toi si curieux de tout. Aujourd’hui plus qu’hier tu es terriblement absent. C’est dur d’affronter le «plus jamais». Dur d’apprivoiser l’idée que nous sommes désormais orphelins.

Je m’inscris en faux contre ceux qui esquivent la fête des pères, prétextant que cette fête est histoire commerciale. Elle ne l’est que si on la rend telle. Elle est jour de reconnaissance et de tendresse si c’est ainsi qu’on la vit. Les jours ont la valeur qui leur est donnée.

Je ne voulais pas manquer ce rendez-vous avec toi papa, même si je dois pour cela lancer mes mots sur l’océan internet, comme on lance une bouteille à la mer. Il y a bien un père quelque part qui s’en emparera et fera sien l’amour d’une fille pour son père.

Je t’aime papa,

Katiou

lundi 11 juin 2007

Élucubrations nocturnes

Je n’ai pu fermer l’œil de la nuit. Il veillait mon sommeil sans ciller ni froncer le sourcil.

J’ai failli me prendre pour Noé, le grand lit transformé en arche où s’ébattaient chat, chien, écureuil, oiseaux et poissons rouges dans une seule flaque de larmes échappée du coin de l’œil. À la limite des plis désordonnés du drap azur, un blanc bateau gitait dangereusement cherchant son équilibre pour ne pas sombrer dans les tons de feu de l’édredon répandu au pied du lit.

J’ai abandonné le lit-navire au regard de l’œil nocturne, suis descendue dans le bureau, papillon attiré par le point lumineux de l’ordinateur que j’ai oublié de fermer. Le clavier hurlait son ennui. Me fallait bien le consoler touche par touche.

Les mots ont-ils des ailes ? Sans doute puisqu’ils se posent...

lundi 4 juin 2007

Lettre à Élika

Mes mains sur le ventre rond de ta maman, j’ai senti, émue, l’onde de fond que provoquent tes mouvements.

Petite-fille, déjà tant aimée, je me réjouis à l’idée que tu vas naître dans un pays où l’égalité entre des sexes est confirmée par une charte des droits.

... Et je tremble quant même un peu, à la pensée que des mouvements cautionnés par des croyances religieuses instaurées par des hommes d’un passé lointain, maintenues par des hommes du présent, renient cette égalité entre la femme et l’homme.

Alors, pour préparer ta venue, je referme mes bras en forme de berceau, souhaitant que toute ma tendresse saura te protéger. Et je reste à l’écoute de ces femmes qui combattent au nom de ta liberté, de tes droits. Justement, ce matin, parmi mes courriels, il est est un que je retiens en songeant à ton avenir.

«Au Québec comme partout dans le monde, il est évident que les droits fondamentaux des femmes sont souvent perçus comme sujets à accommodements dès qu'entrent en ligne de compte des revendications pour motifs religieux et culturels. Pour éviter qu'on en vienne à créer différentes catégories de femmes, selon les droits que leur reconnaissent les religions ou les cultures, il faut refuser que les religions étendent leur pouvoir dans l'espace public et dictent leurs valeurs à la société civile.»

Une invitation du site, http://netfemmes.cdeacf.ca/ , où entendre la parole des femmes :

* «Religions, femmes et fondamentalismes», par Michèle Vianès,
présidente de Regards de femmes (http://regardsdefemmes.com/)
«Partout, dans l'espace et dans le temps, on observe les rapports de hiérarchie patriarcale et d'assujettissement des femmes. Quel est le poids des religions, clé du symbolique, dans la formation et le maintien de cette hiérarchie? Les religions ont été fixées par des hommes, pour les hommes. Les textes sacrés, transcrits, étudiés, commentés le furent aussi par ces mêmes hommes qui, pendant des siècles, eurent le monopole de l'accès à la culture...»
Lire l'article:
http://sisyphe.org/sisypheinfo/article.php3?id_article=141

* «Affirmer nos valeurs fondamentales pour mieux vivre la pluralité», par Diane Guilbault, collaboratrice de Sisyphe.
«Le vivre ensemble dans une société pluraliste repose sur le respect par tous et par toutes de règles communes, lesquelles règles reposent sur des valeurs et des consensus. Ces valeurs, ces règles constituent un tronc commun autour duquel peuvent venir s'ajouter de nouveaux points de vue, de nouvelles couleurs qui viendront l'enrichir. (...) Alors, quel est notre tronc commun en 2007? Quelles sont les valeurs communes qui devraient nous rallier dans la cité ? On croyait que c'était évident...»
Lire l'article:
http://sisyphe.org/sisypheinfo/article.php3?id_article=136

* «La religion et les droits humains des femmes»
Prise de position du Lobby européen des femmes (LEF)
«En aucune circonstance, le LEF ne saurait accepter le relativisme
culturel pour justifier les violations des droits des femmes au motif
que ces violations seraient décrétées par les croyances et la culture et échapperaient dès lors à toute notion de protection des droits humains...»
Lire l'article:
http://sisyphe.org/sisypheinfo/article.php3?id_article=145

Élika, peut-être est-ce davantage pour moi que je te parle de cette prise de parole des femmes. Ne suis-je pas l’heureuse héritière de celles qui, au prix de leur vie pour plusieurs, de leur liberté pour nombreuses, ont conquis les droits dont je jouis aujourd’hui ? Je leur dois de ne jamais les oublier... encore plus ne jamais les renier.