samedi 8 novembre 2014

Exposition rétrospective de Jean-Marie Laberge



« Il s’empare du geste musical d’un concertiste, occultant le corps du musicien pour n’en tailler que les membres essentiels, les mains ou une partie d’un visage, suggérant plutôt que de représenter afin de donner corps à la seule musique. » 



Combien de temps faut-il à l’artiste pour créer une œuvre? Une vie, pourrait répondre Jean-Marie Laberge. Un demi-siècle assurément confirme l’imposante rétrospective de ce peintre, portraitiste, graveur et sculpteur présentée à la salle d’exposition de La Maestria. Ce dont témoigne cette centaine d’artefacts rassemblés, c’est la démonstration d’un esprit libre qui refuse de s’installer dans sa propre maîtrise des formes et des couleurs. La formation classique acquise dans les écoles d’art de Londres, Washington et Québec n’aura été que le fer de lance d’une exploration sans fin, propice à des trouvailles surprenantes dont l’originalité explose au regard, dans plusieurs peintures certes, mais surtout dans ses sculptures remarquables par la beauté du mouvement, la pureté des formes.

La chronologie de ce parcours visuel auquel nous invite cette rétrospective évoque une démarche artistique dédiée plus à la quête en soi qu’à l’objet de la quête. Que cela aboutisse à un portrait, un nu, une nature morte, un paysage ou même à l’expression d’une vision onirique, voire ésotérique, ses compositions sont un moyen d’expérimenter un courant, un style, un médium, ne craignant ni la figuration ni l’abstraction, capable du plus pur traditionalisme comme d’un modernisme sans complexe. La technique est au service d’une vision faisant fi du conformisme voulant qu’un artiste ressemble à lui-même, préférant créer selon son plaisir du moment, puisant aux différents langages, classicisme, romantisme, fauvisme, pointillisme, réalisme, cubisme et plus.

Le choix - peinture de Jean-Marie Laberge

Derrière la main qui tient le crayon, la craie, le burin ou le pinceau, le sculpteur n’est jamais loin. L’effet 3D de ses dessins s’insère dans le mouvement et s’épanouit avec bonheur lorsqu’il s’abandonne à la troisième dimension. Murales ou objets utiles comme ses miroirs pour lesquels il privilégie l’aluminium, bas-relief à la géométrie symbolique ou reprenant les mains de la Création d’Adam de Michel-Ange, monuments ou multimédia aux alliances surprenantes, comme un poing brandit sortant d’une vitre cassée, Jean-Marie Laberge s’empare aussi facilement de l’intériorité d’un personnage qui habite ses bustes que du mouvement qu’il maîtrise incontestablement. Pour preuve, ses bronzes superbes aux courbes dansantes comme s’enroulant sur elles-mêmes en formes de corps minces à la Giacometti avec la sensualité d’un John Arp.

Toute la magie de son art réside dans cette habilité à modeler une vision, intense dans l’expression et pourtant si épurée qu’elle captive au premier regard. Il saisit toute la grâce d’une volée d’outardes (L’envol), la séduction émouvante de la démarche singulière des empereurs de l’Arctique (L’heure du bain) ou l’intensité du doigté musical (Le pianiste). Il s’empare du geste musical d’un concertiste, occultant le corps du musicien pour n’en tailler que les membres essentiels, les mains ou une partie d’un visage, suggérant plutôt que de représenter afin de donner corps à la seule musique.

« La création est un défi, il faut en dire le plus possible avec le moins de matière, comme un poème où l’on dit beaucoup avec peu de mots. Il faut saisir l’âme de la musique. »

Comment mieux dire que par ses propres mots? Mais surtout comment mieux voir? Sinon par ces pièces témoins de toute une vie de cet artiste. Une rétrospective qui en surprendra plus d’un.

Christiane Laforge
2 octobre 2014



Lespugue - 1981- Bronze


Des alliances surprenantes - Aluminium et vitre, œuvre de Jean-Marie Laberge

Près de 120 personnes ont assisté au vernissage de la rétrospective des œuvres de Jean-Marie Laberge, à la salle d'exposition de La Maestria de la rue Racine à Chicoutimi. L'ensemble des pièces, portraits, gravures, peintures, sculptures, soit une centaine d'artefacts témoignaient de 50 ans de carrière. L'exposition, d'une durée beaucoup trop courte a eu lieu du 24 octobre au 2 novembre 2014.

Voici ce qu'en a dit Jérémie Giles, peintre et sculpteur
AVEC LES MAINS DU COEUR
Avec les mains du coeur. Quel beau titre évocateur (d'exposition) pour décrire le parcours de cet artiste créateur qu'est Jean-Marie Laberge. Un artiste que l'on connaît assez bien pour les nombreuses œuvres sculpturales réalisées au cours des dernières décennies. Cependant, quelle ne fut pas la surprise, parmi la centaine d'invités à l'ouverture de la rétrospective de sa démarche, de constater l'incroyable diversité de ce créateur.

En effet, ses œuvres peintes et dessins révèlent à quel point il ne se sent pas obligé de toujours voir les choses du même angle. Il peut changer de style et en créer à sa guise tout en maintenant la signature Jean-Marie Laberge.
Cette très impressionnante exposition (s'est déroulée) à l'Espace La Maestria, de Chicoutimi jusqu'à dimanche dernier. Il est dit que: l'artiste qui peut donner de l'expression et de l'élégance aux mains est un artiste accompli. C'est le constat que vous ferez en voyant plusieurs de ces oœuvres sculptées. Je pense ici à Quatuor à corde et à Colonnes de sons
En tant qu'artiste qui en a vu bien d'autres, je tiens à féliciter très chaleureusement Jean-Marie Laberge pour l'ensemble de son œuvre.

Jérémie Giles
lundi 3 novembre

Jonquière

Jean-Marie Laberge
Dans l'édition du 26 octobre, le Progrès-Dimanche consacrait deux pages à Jean-Marie Laberge. Voici un extrait d'un des textes signés par Daniel Côté.

Les Arts, dimanche 26 octobre 2014, p. 28

Jean-Marie Laberge présente une exposition rétrospective
Autoportrait d'un artiste heureux

Daniel Côté

[...] Près de lui, le long du corridor qu'empruntent les visiteurs après avoir franchi la porte d'entrée, on remarque des sculptures faites de bois nu, ainsi que d'une matière résineuse dont la blancheur évoque le marbre. Ce sont les oeuvres les plus récentes du Chicoutimien dont la réserve d'audace n'est manifestement pas épuisée, comme en témoigne son ingénieux Quatuor à cordes (voir autre texte).
On le sent fier d'avoir préservé une certaine fraîcheur, lui qui fait carrière depuis un demi-siècle et qui affiche 80 ans au compteur. Les cheveux ont blanchi, mais son regard est demeuré vif, autant que ses gestes et ses paroles, qui suivent à peine le flot de sa pensée. À l'évidence, sa rétrospective, la première depuis 1976, ne marque qu'une étape dans son cheminement. On est encore loin du mot FIN.
"Je suis reconnaissant envers la nature qui m'a donné un don, en même temps que la santé. Comme je ne peux pas rester une semaine à ne rien faire, j'ai encore plein de projets", assure Jean-Marie Laberge qui, depuis quelques années, partage son temps entre la sculpture et la peinture à l'huile.
[...] Aux toiles de facture classique ont succédé des oeuvres abstraites, le temps que le peintre et sculpteur trouve sa manière à lui, servie par une technique irréprochable.
Vinrent ensuite l'âge du bronze, puis celui de l'aluminium, les années d'enseignement et celles de la retraite, avec pour dénominateurs communs la créativité artistique et le soutien indéfectible de son épouse Marguerite Lapointe. On ne voit sa signature nulle part, mais son esprit imprègne l'exposition, autant que la vie de son vieux complice. "Elle a été indispensable", confirme Jean-Marie Laberge.
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samedi 1 novembre 2014

Les filles Berg ne sont plus, Mady est morte


Mady, l'aînée des filles Berg.

Elle était la fée attendue avec impatience. Lorsque, petite fille de 3 ans, brutalement séparée de sa famille, je me suis retrouvée dans les bras de tante Hélène, la blonde et superbe Mady m’apparaissait comme une fée dont la présence enjolivait la vie.

De tous les enfants de passage dans la famille Berg, j'ai été la dernière et la seule avec qui la possessive Madeleine a accepté de partager sa mère. Pendant six ans, jusqu'à mon départ pour le Canada dans le but de réunir la famille Laforge, Mady a été la grande sœur protectrice. Il lui suffisait d'être là pour que tout devienne plus lumineux. Elle s'appropriait parfois mes maladresses pour m'éviter d'être punie, mais surtout, elle ouvrait toute grande la boîte aux permissions. Celles de rester plus longtemps sur le carrousel à la foire, de manger des frites à la baraque du télésiège de Dinant ou une crème glacée sur les bords de la Meuse.

Elle subtilisait les chicons amers de mon assiette sachant que je les détestais. Et elle ne me trahissait jamais quand, gourmande, je mettais plus de fraises dans ma bouche que dans mon panier. J'avais 7 ans quand elle m'a emmenée à la mer; une semaine sur la plage de Blankenberg dont le souvenir demeure vivace. J'avais vidé ma tirelire pour ce voyage et elle m'a laissé croire bien longtemps que j'avais payé moi-même mon billet de train, ma chambre d'hôtel et tous les repas. J'en étais si fière que devant cet orgueil naïf, ni oncle Émile ni tante Hélène n'ont démenti ce si joli mensonge de Mady. D'autant plus que je revenais du Plat pays le cœur amoureux, grâce à elle, après y avoir vu et entendu au cinéma Gilbert Bécaud, dont je devins à jamais une admiratrice inconditionnelle. 

Plus tard, après bien des années séparées par un océan, chacune de nos retrouvailles n'ont que resserré ce lien fraternelle.  Nos différences dégénéraient parfois en confrontations passionnées, mais bien plus souvent elle était la grande confidente, la conseillère éclairée et l'amie avisée guidant les premiers pas d'une jeune femme en devenir. Inévitablement, ma bonne fée ne pouvait que se pencher sur le berceau de mon fils et devenir sa marraine.

En 2001, lorsque je lui ai dit au revoir à l'aéroport de Zaventem, j'ignorais que je l'embrassais pour la dernière fois. Après... après, la vie a dévoré le temps et le rêve d'un aller-retour fut reportée année après année. Puis 2012 a sonné le glas d'une dernière promesse. Une lutte à finir contre le cancer me retenait loin d'elle.

- Tu vas te battre, répétait-elle au téléphone à chacun de ses appels. Tu ne dois pas te laisser faire.

Je l'imaginais, le doigt pointé sur moi, le regard fusillant le moindre signe de faiblesse.

Aujourd'hui, j'ai souvenir que ces mêmes mots, elle les dressait comme un rempart entre moi et les épreuves de la vie. 

- Tu ne dois pas te laisser faire. Elle me le dirait sûrement aujourd'hui, alors que je pleure cette femme magnifique, si farouchement désireuse de vivre libre, autonome, jamais résignée à vieillir, encore moins à mourir. Et pourtant...

Fin août, une chute dans un escalier. Une hospitalisation de trois semaines. Et finalement un placement définitif dans une maison d'hébergement, obligée de partager l'espace d'une chambre avec une inconnue. Et personne, personne ne m'a prévenue... sinon quand il fut trop tard.

Lundi, 27 octobre 2014, Mady est morte. Elle ne s'est pas laissée faire. Elle est partie.


 1980 : Je suis entourée de tante Hélène, 
qui a su protéger et rendre belle mon enfance, et de Mady.
L'ami taquin, Constant, décédé trot tôt, 
nous avait surnommées « Les filles berg ».


Madeleine Berg 1926-2014

Quand on apprend qu'un être, si cher à notre cœur meurt loin de nous, sans nous avoir donné le temps d'être là, comment on fait?