lundi 30 avril 2007

L'enfant à naître

Ariel et André-Anne se préparent à la naissance d’Élika.

Il n’y a pas si longtemps pourtant, mon fils m’inspirait les mots de sa propre naissance.
Ma petite-fille, qui naîtra en août, est le demain de nos trois vies.

Elle est la suite d’une page écrite au siècle dernier... ouvrant le chapitre de :



La continuité

Demain se commence en moi. Vie issue de notre rencontre. Début d'un nouvel infini.

Ta main sur mon ventre plein sonde l'onde de fond de notre futur marin. Et moi, femme si avide, découvre émerveillée l'inouïe caresse intérieure. Mon corps... planète habitée. Terre féconde portant fruit. Pays envahi. Chair vampirisée par l'homme en devenir que nous avons créé.

Ma première trahison.

À peine né, il s'empare de mon coeur. Huit jours plus tard, ceignant la couronne d'un roi. L'amoureuse en désarroi cède place à la mère toute puissante.

Mes bras se referment en forme de berceau pendant que mon sein le nourrit. Ma vie coule en lui. Grandit mon amour. Tout se confond. Les jours continuent d'exister, les nuits succèdent aux soleils, les saisons alternent entre la chaleur et le froid . Mon coeur est un brasier qui se consume au feu dévorant du sentiment que m'inspire cet enfant.

J'observe, étonnée, cette mise au monde d'une femme.

Extrait de Cœur innombrable
Éditons JCL

mercredi 25 avril 2007

Journée mondiale du livre

Écrivains et droits d’auteurs
Pas besoin des pirates pour être pauvres


La Journée mondiale du livre aura été une occasion propice pour réfléchir sur le sort peu enviable des travailleurs de l’écrit. Respectant la tradition, les libraires offraient une rose à leurs clients. Pendant ce temps, les politiciens offraient des épines avec le cynisme inépuisable de leur gestion d’une politique culturelle réductrice.

Plusieurs écrivains, en effet, sont inquiets quant à l’avenir du Programme du droit de prêt public et à son financement. Ce programme consiste à donner aux écrivains inscrits une forme de rémunération, fort modeste, pour compenser l’utilisation de leurs volumes dans les bibliothèques. Comme la somme globale est partagée au prorata des écrivains, lesquels sont de plus en plus nombreux tout genre confondu, elle devient de plus en plus modeste chaque année, bien souvent en deçà de 1000 $ et moins par année. Les droits du Québec sont encore plus dérisoires, moins de 57$.

Dans une lettre adressée à la ministre du patrimoine canadien Liza Frulla, le président de l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse, Inc Comeau, ajoute sa voix à celle des membres de l’Union des écrivains du Québec. Il rappelle à la ministre et à ses fonctionnaires, la situation des auteurs de livres pour la jeunesse. Il donne en exemple un livre dont le prix de vente est de 7,95$, lequel atteindra peut-être les 1500 exemplaires vendus en trois ans, rapportant à son auteur 397$ par année. Parallèlement, l’illustrateur du même volume aura reçu entre 800$ et 1500$.

Redevances

Le programme DPP du Conseil des Arts du Canada existe depuis 1986. Son but est de reconnaître la contribution culturelle des auteurs à la société par leurs ouvrages dans les bibliothèques publiques et universitaires du Canada. La Commission du DPP est formée de onze écrivains, quatre bibliothécaires, deux éditeurs, un représentant de Patrimoine Canada et un représentant du Conseil des Arts du Canada.

De son côté, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (COPIBEC) effectue sa distribution de redevances de type forfaitaire sans égard au nombre de copies déclarées. Elle a ainsi remplacé dans ce rôle l'Union des écrivains du Québec (UNEQ) qui s'est occupé du programme de 1983 à 1998. Le fonds est partagé entre plus de 7000 auteurs et quelque 300 éditeurs québécois. Ce montant est constitué des redevances versées par le Gouvernement fédéral de 1994 à 1997, par le ministère de l'Éducation et par les établissements d'enseignement. Il s'agit de redevances non distribuées faute d'ayants droit connus. Les redevances sont partagées entre les auteurs (65 %) et les éditeurs (35 %).

Prêt public gratuit

L’industrie du disque, appuyée par les auteurs compositeurs dénoncent haut et fort le piratage de leurs œuvres via Internet. La captation gratuite des chansons réduit considérablement les revenus des uns et des autres. Et ils ont raison d’alerter l’opinion public face aux conséquences de cette appropriation pirate.

L’industrie du cinéma se protège encore mieux. Un nouveau film ne sera préalablement disponible qu’en salle de cinéma et sa durée sera plus ou moins longue selon sa popularité. Plusieurs mois plus tard, il se retrouvera disponible en DVD ou VHS. Suivront plus tard les autres diffuseurs, soit d’abord la télé à la carte avant d’aboutir en dernier sur les ondes de la télévision gratuite.

Le livre a un tout autre destin. À peine publié, il se retrouve dans les bibliothèques, disponible gratuitement. On ne lui laisse même pas quelques semaines, le temps de profiter de l’impact de sa sortie en librairie, ce qui aurait une incidence positive sur le volume des ventes et donc des droits d’auteurs dévolus à chacun. Des millions de prêts de livre sont ainsi faits au Québec seulement. Bien que les auteurs soient les premiers à promouvoir les bibliothèques publiques, ne pourrait-on pas, comme pour un film, accepter un délai raisonnable à toute nouvelle publication littéraire avant de la rendre accessible à la gratuité, le temps, pour l’auteur, de tirer profit de son labeur ?

L’écrivaine Évelyne Gauthier, dans une lettre adressée à Liza Frulla, écrit: «Selon une étude menée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, 44,4 % des artistes ont des revenus de moins de 20 000 $.» Pire encore, 28% des écrivains gagnent moins de 15 000$ annuellement et 55% moins de 30 000$

Et pourtant! Le rapport de la série Regards statistiques sur les arts de Hill Stratégies, révèle que les dépenses totales au chapitre des livres étaient de 209 millions de dollars, ou 170 $ par ménage ayant acheté des livres (48% des familles) au Québec seulement. Au Canada, en 2001, les Canadiens ont dépensé 1,1 milliard de dollars en achat de livres, 1,2 milliard pour les journaux et autant pour le cinéma; cela représente, par catégorie, plus du double des dépenses consacrées à des événements sportifs qui ont été de 451 millions de dollars.

Art édito
Publié le 24 avril 2005
Progrès-Dimanche

samedi 14 avril 2007

Les enfants rient

Le soleil du printemps vibre dans la voix des enfants. Cette nuit, le sommeil s’est emparée de moi en pleine lecture des confidences de Talleyrand, expliquant le comment et le pourquoi de sa pensée, amplifiée pour compenser l’isolement de son enfance. «Rêver comme un fou pour combler la perte. Rêver ou mourir.»

J’ai glissé paresseusement dans un tout autre univers du rêve. Envol gratuit qui transforme mes nuits en multiples vies tour à tour fantaisistes, dramatiques,aventureuses où délicieusement érotiques. J’aurais volontiers prolongé cet éveil si les rires et les cris des enfants du voisin n’avaient franchi ma fenêtre pour titiller mon oreille ravie d’entendre une si vivante expression de leur plaisir du jeu.

Je me suis retrouvée partagée entre le sourire de leurs ébats et la conscience d’être en plein délit de «travail-buissonnier» ou pour mieux dire de retard drapé bleu azur. Je ferai ce soir ce que je n’ai pas fait ce matin. Ce qui me permet de poursuivre sans remords la douceur de ne rien faire, hormis écrire ceci pour ajouter au plaisir de m’en souvenir.

Christiane
Extrait de
Lettre à M.

vendredi 13 avril 2007

Pour qui sonne le glas

Musée régional
Pour qui sonne le glas ?



Trop souvent oubliée, la parole demeure le moyen d’expression par excellence. D’autant plus que, dans notre société qui se veut démocratique, cette parole appartient à chacun. Libre à nous de la faire entendre. Je me réjouis de cet appel à tous lancé par Gérard Bouchard concernant le choix du monument que l’on veut ériger à l’intersection Talbot-Jacques-Cartier de Chicoutimi. Choix qui revient à la population. Les élus ont le mandat de défendre cette parole au sein du Conseil municipal. Encore faut-il l’écouter.

Ce débat, qui a failli ne pas avoir lieu, cristallise une malheureuse réalité: nous n’avons pas de mémoire.

Non, il ne s’agit pas d’une accusation. Du moins, pas envers la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean. L’absence de mémoire est le propre de la jeunesse. Et jeunes, nous le sommes. Nous ne comptons même pas deux siècles d’existence en tant que communauté fondatrice de ce Saguenay-Lac-Saint-Jean que nous connaissons aujourd’hui.

Omettre le souvenir se traduit avec éloquence dans l’absence de repères permettant à la mémoire collective de se développer. Où puiser la science de nos racines lorsque la trace en est dissimulée, trop souvent confinée à l’ombre de lieux peu fréquentés?

Le caractère distinct de cette région est forgé des luttes menées depuis l’arrivée du premier pionnier. Nos forces et nos faiblesses ont une même source. Nos succès et nos échecs, nos joies et nos blessures aussi. Seulement voilà, il n’y a pas de lieu culte à cette mémoire-là. En certains pays, on appelle cela un musée, un centre commémoratif, un temple de la renommée.

Après Tintin et Asterix

Signe du temps. La télé-réalité (si mal nommée car cet étalage sans pudeur de «sentiments» si personnels n’a rien de réel) s’impose au détriment des artistes. Exit! les comédiens, les auteurs, les créateurs, le voyeurisme est à l’honneur. Plutôt que des cachets versés au travailleurs culturels, on déverse des sommes folles dans les poches des opportunistes les plus habiles à séduire le public.

Signe du temps. Les Salons du livre, du moins celui de Montréal, détournent les fonds versés à la défense de la littérature, en priorité québécoise devrait-on souhaiter, pour promouvoir les livres de recettes. Entre Roy et Laberge, Beaulieu et Fournier, on déguste Ricardo. À l’ère de l’obésité plus qu’à celle des épicuriens, le livre de cuisine fait recette.

Signe du temps. Le Centre national d’exposition de Jonquière a dû renoncer aux subventions conditionnelles du Conseil des arts, dont les exigences favorisaient les artistes de l’extérieur, afin de pouvoir remplir sa vraie mission régionale auprès des artistes du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Notre Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean, musée régional installé dans l’Édifice 1921 du site classé historique de La Pulperie, inauguré en grandes pompes le 21 juin 2002, s’inscrit, lui aussi, dans le mouvement actuel. Ne se vante-t-on pas d’y accueillir en 2005, une importante et, croit-on, rentable exposition sur la célèbre bande dessinée, «Astérix».

Pendant ce temps s’interroge-t-on sur la visibilité de notre image culturelle. Où peut-on voir les œuvres réalisées par nos artistes en arts visuels au cours du dernier centenaire ? Si nous avons une histoire en peinture et en sculpture, se résume-t-elle au seul nom d’Arthur Villeneuve ? Un seul ne devrait pas occulter tous les autres.

La vitalité de notre théâtre est telle que nous comptons assez de compagnies professionnelles pour tenir, avec elles seules, un festival de théâtre. Où sont les traces des troupes disparues, où sont les vitrines accessibles pour celles qui produisent actuellement ? Sommes-nous si modestes que nous ne songeons même pas à montrer à nos visiteurs les nombreux comédiens, acteurs, chanteurs, musiciens issus de notre région et pourtant célèbres?
Que l’on érige en symbole de notre courage une petite maison blanche épargnée par les eaux, avec les sommes investies à la clé, perdra son sens quand nul n’aura écho de ces hommes et de ces femmes qui l’ont faite si solide.

À défaut de nourrir notre mémoire du souvenir des véritables pères et mères de nos cités on risque un jour d’avoir à se demander «pour qui sonne le glas?»

Texte publié en 2005
Chronique : Art édito du 5 décembre
Progrès-Dimanche

mardi 10 avril 2007

Les oiseaux

Frisson de froid et d’impatience ce matin d’avril désespérément blanc. Il me tarde de dormir fenêtre ouverte pour la joie, à l’aube, d’être tirée du sommeil par le chant des oiseaux.

Dès le printemps, ils viennent nombreux autour de la maison. En façade, il y a «l’arbre aux oiseaux», ainsi nommé parce que j’y ai placé diverses mangeoires avec graines choisies selon les espèces désirées. Les plus mignons sont les chardonnerets jaunes. Ils se chamaillent pour un perchoir. Je ne me lasse pas de les observer.

Je sais que les nourrir est un geste égoïste. Je le fais pour mon plaisir. Ils se débrouilleraient très bien sans cela. Mais... ils iraient tout autant chez le voisin.

Dans le bonheur si grand que j’ai de les entendre, le jour naissant, je me dis qu’ils me chantent leur pardon.

Suggestion:
http://ornitho.uqac.ca/

dimanche 8 avril 2007

Réflexion sur le sens de l'art

L’art est un marché. Incontournable réalité qui, telle la langue d’Ésope, est à la fois le pire et le meilleur. Notre civilisation où le mercantilisme fait loi, contraint l’artiste à une dépendance pécuniaire s’il veut pratiquer son art. Il doit vendre ses œuvres et les soumettre à la spéculation d’un milieu où la reconnaissance doit plus à la médiatisation et l’efficacité d’une mise en marché qu’au talent. L’un n’excluant pas l’autre heureusement. Il pourra aussi suivre le tracé complexe des bourses d’aide à la création, des séjours en résidence et des cachets versés par les Centres d’artistes autogérés subventionnés quand ils y présentent les fruits de leur démarche artistique.

Qui dit marché, pense argent. Il en est beaucoup question dans nos journaux. Pas d’heureuse manière malheureusement! Vols de tableaux dans les musées, révélation des pillages en temps de guerre, prolifération de faussaires et, dans notre région, soupçon de surévaluation cautionnée par d’impressionnants reçus pour dons. Là n’est pourtant pas le but de mon propos. Pendant que l’on questionne les experts sur les règles d’or de l’évaluation des œuvres d’art, je m’interroge : a-t-on encore une idée sur le sens même de l’art?

«Comment être sûr de la valeur du tableau convoité ?» me demande-t-on souvent. Sans doute, le prix que vous êtes prêt à payer. La grande majorité des personnes achetant une œuvre d’art répond d’abord à des élans du cœur. C’est encore la meilleure raison, celle qui justifie le plus intensément l’investissement consenti. Tout comme les artistes cèdent à cette force jaillissante qui les pousse à s’exprimer par la peinture ou la sculpture. Quand on sait le revenu moyen des créateurs en terre québécoise, on est facilement convaincu qu’ils ne travaillent pas pour l’argent. C’est une pulsion puissante, de tous les temps, dont les grottes célèbres (Lascaux, Altamira, Chauvet) portent les traces avec autant d’éloquence que nos musées.

Les paléontologues pensaient que les premières grottes ornées dataient de 23 000 ans et que les premières fresques peintes n’avaient que 15 000 ans. Dans les années 1990, coup de théâtre à la découverte des grottes de Cosquer (28 000 ans) et Chauvet (33 000 ans). Les scènes peintes évoquent les grandes chasses des âges glaciaires. Bel exemple de l’art témoin, de l’art langage visuel, de l’art sauvegarde d’une réalité sociale de notre humanité.

À travers l’histoire des siècles passés, où les fresques peintes, l’architecture, la sculpture, s’inscrivaient dans une démarche culturelle et sociale publique très riche, on aborde notre propre époque où l’art semble marqué par une individualisme poussé à outrance. Heureusement les musées, les temples et certains lieux publics rendant accessibles à nos yeux de nombreuses œuvres d’art.
Pourtant, il est difficile d’ignorer ce que c’est que de cohabiter avec une peinture, une sculpture. Non pas comme objet de décoration, mais comme présence réelle d’une sensibilité exprimée, dévoilée, incarnée.
Figuratif ou abstrait, ce que voient nos yeux est l’expression d’une personne. La révélation d’une idée, d’une image, d’une émotion dans un langage de formes et de couleurs, dont on éprouve ou non la beauté.

Il importe de se soucier du sens d’une œuvre d’art. Elle nous survit. Elle nous distingue aussi. Art oriental, art occidental, art inu, illustrent nos différences, racontent nos croyances, dévoilent nos obsessions, témoignent de nos choix.

Au-delà du battage médiatique fleurant le scandale avant même d’être confirmé, très discrètement Chantale Hudon, galériste, a souligné, lors du dernier Cercle de presse, un fait bien réel qui mérite réflexion. Notre confrère Daniel Côté cite ses propos dans le Quotidien du 23 novembre, écrivant: «Chantale Hudon regrette que la saisie opérée à Larouche ait fait la les premières pages des journaux, alors que des manifestations artistiques importantes ne bénéficient pas du même traitement.»

Tout comme les arts visuels, les événements prennent leur sens dans le regard qui se pose sur eux!


Art édito
Christiane Laforge
Publié dans le Progrès-Dimanche
26-11-2006

jeudi 5 avril 2007

Neige

Je t’ai attendue avec tant d’impatience. Je t’ai regardée avec tant de plaisir. Je me suis lovée sur toi avec tant de passion. J’ai écouté ton silence avec tant de bonheur. Tu as enchanté mon hiver.

Jamais je n’aurais cru que tu mettrais tant d’acharnement à gâcher mon printemps. Eh! la neige, ton temps est révolu! Si belle tu sois sur les branches du lilas, ne te prends pas pour un bourgeon. Va-t’en!

dimanche 1 avril 2007

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Pays de la démesure

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Il y a le pays d'origine, non choisi, inscrit dans la destinée. Pour certains privilégiés, il y a le pays choisi. J'appartiens plus sûrement à la terre saguenéenne que si j'y étais née. C'est le pays de mon âme. Celui qui s'est emparé de mon cœur, a façonné mon esprit.

Jusqu'à neuf ans, avant l'arrachement brutal à ma Belgique natale, mes yeux se sont nourris du mystère des eaux du fleuve baignant les rives de Dinant, La Meuse. Vingt ans plus tard, nulle offre, amoureuse ou professionnelle, n'a su me convaincre de renoncer à vivre au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Vingt autres années de plus, comme journaliste, j'écoute avec compréhension les confidences nombreuses des exilés, natifs ou non, qui ne parviennent pas à extirper le regret qu'ils ont d'être partis de ce royaume.

Adolescente, je vivais douloureusement la nostalgie d'un monde idéalisé. Celui de mon enfance. Minorité audible, mon accent provoquait la phrase brûlante: «Tu n'es pas d'ici». Et je le croyais.

Pourtant, j'emplissais mes poumons des vents du Fjord Saguenay, odeurs salines mariées à celles des forêts de pins et d'érables bordant ses rives, tandis que mon regard se colorait de l'incroyable palette couleur passion de l'automne, blanche silence des hivers jusqu'au tendre vert du printemps. Félix chantait le tour de l'île, j'apprivoisais le tour du lac. Vigneault criait «Gens du pays», les Saguenéens et les Jeannois me répondaient.

Je ne suis pas née ici... continue de trahir mon accent. Qu'importent les occasionnels rejets. Je suis conquise, possédée, revendiquant l'appartenance de l'amour éprouvé, de l'admiration ressentie mais plus encore de l'esprit façonné qui, telle l'œuvre du peintre, ne peut être reniée par lui.

Saguenay-Lac-Saint-Jean

Oublions les comparaisons. Chacun trouve ses alliances selon sa nature propre. Il ne s'agit pas de convaincre du mieux d'un lieu par rapport à un autre. Je me sens fille du Fjord Saguenay pour dire le mot «exil» comme synonyme d'éloignement. Et le fjord et le lac ont de nombreux enfants, arborant fièrement le sceau bleu, ton des Bleuets.

Cela commence dans la beauté des lieux. Cette région est le mariage de deux mondes: le Saguenay et le Lac Saint-Jean. Chacun a préservé son identité. Première qualité.

Jacques Cartier a nommé royaume ce pays difficilement accessible, fertile en richesses naturelles qui font sa force aujourd'hui. La forêt, suscitant la convoitise. Exploitée pour la hauteur de ses arbres, futurs mâts de navires européens, puis des compagnies de pulpe dont plusieurs sont encore actives. L'eau, source d'énergie électrique pour les grandes entreprises comme Alcan, Donohue, Abitibi-Price. Les flancs de ses terres pour l'agriculture (Nutrinor) et ses mines (Niobec).

Mais que font-ils avec ce pays, tandis que l'industrie l'utilise ? Un grand jardin de fleurs à Normandin, un grand parc zoologique à Saint-Félicien où les animaux vivent en liberté protégée, un village touristique sur les ruines de Val-Jalbert (feu-village autarcique d'avant-garde), un musée de site (le premier ) sur les ruines de la plus grande pulperie du monde à son époque, la Pulperie de Chicoutimi. Quelques exemples seulement, le temps de démontrer que ce pays est celui de la démesure.

Vous dites lac ? Nous disons mer. Le lac Saint-Jean, ou pour mieux dire, le lac Piékouagami (lac plat en montagnais), se situe à 150 mètres au dessus du niveau de la mer, avec une superficie de 1060 mètres carrés, dont la plus grande profondeur est de 11,3 mètres. En certains endroits, impossible de voir l'autre rive. Mer que les plus grands nageurs du monde affrontent chaque année. Qui en a fait le premier aller-retour, défi maintenant abandonné tant il exigeait une endurance hors mesure ? Christine Cossette, davantage héritière d'une Marguerite Belley (pionnière fondatrice de Jonquière) que de Maria Chapdelaine (pieuse et soumise héroïne de Louis Hémon) . Seconde qualité: le courage.

Vous dites rivière ? le Saguenay prend sa source dans le lac Saint-Jean. Rivière Saguenay devenant estuaire de Shipshaw à Saint-Fulgence passant par Chicoutimi, qui signifie jusqu'où l'eau est profonde. Puis, devenant fjord jusqu'à Tadoussac, pouvant atteindre 275 mètres de profondeur. On y observe les bélugas, on y pèche le requin. Et les transatlantiques viennent mouiller au quai de Grande-Anse, n'allant pas plus avant pour éviter la force des marées et leurs contraintes. Tout le long de son parcours, ils ont construit villes et villages aux flancs de ses monts, tous convaincus d'être les meilleurs. Troisième qualité: la fierté.

J'ai appris à naviguer sur le fjord, sur un voilier au nom rebelle de Kanayou. Et, lorsqu' Ariel, mon fils de cinq mois, riait aux éclats quand la gite lui permettait de tremper ses doigts dans cette eau profonde, j'ai compris sa chance et la mienne. Il grandit dans un pays où tout est possible. L'ambition y a droit d'asile. Au point que les entreprises d'ailleurs viennent y expérimenter leurs produits. Le domaine des affaires a, depuis longtemps, acquis ses titres de noblesse. Bien que ce soit dans les arts que l'on dénombre le plus d'ambassadeurs. Pour s'intégrer dans ce milieu d'une farouche indépendance, il ne faut pas frapper au portes. Il faut ouvrir la sienne. Et si dans leur regard, on demeure toujours des étrangers, leur sourire est la promesse qu'ils tendront la main si vous êtes menacés. Autre qualité: l'hospitalité.

Terre féconde

Les natifs en exil sont les premiers à témoigner de la puissance de l'attachement éprouvé pour ce pays. On ne le fuit pas, on le transporte en soi. Il nous habite. Dominique Lévesque, Marie Tifo, Nancy Dumais, Guylaine Tanguay, Jacques Houde, Véronique Lacroix, Renée Lapointe, Jean Pagé, Claude Quenneville, Louise Portal, Mario Jean, Benoît Johnson, Léo Munger, Claude Gagnon, Mario Tremblay, Marie-Lise Pilote, Pierrot Fournier, Mario Roy, Guy Cloutier, Michel Tremblay, Michel-Marc Bouchard, Geneviève Lapointe, André Duchesne, Ghislain Tremblay, Réjean Tremblay, Jean-François Lapointe, Nicole Houde, gens de communications, de théâtre et de spectacle, humoristes, musiciens, écrivains, sont unanimes: «Chez nous» sont deux mots qui veulent dire «Saguenay-Lac-Saint-Jean». L'écrivain d'origine haïtienne, Stanley Péan continue de se dire Bleuet. Maurice Cadet, en partance pour Montréal après une décennie ici, emporte dans ses œuvres son allégeance à sa terre adoptive.

Restauration, entreprise, création, tourisme, recherche, spectacle: tout y est accessible. Que les cachets soient moindres qu'à Montréal importe peu. Le musicien Richard Cusson, Saguenéen d'adoption depuis cinq ans, avoue ne plus vouloir partir. La force du nombre crée la concurrence et la convoitise. Ici, il a trouvé appui, complicité et amitié avec les gens de son métier. On ne parle plus d'argent, on y parle de vie.

Bonnes tables, grands spectacles, industries, commerces, sports, tourisme, université, académie de ballet, conservatoire de musique. Et si cela ne suffit pas, c'est une région qui se situe à moins de cinq heures de route de tout ce que peuvent offrir, aussi, la métropole et la capitale. La distance n'existe pas. Il n'y a pas de kilomètres. Il n'y a que du temps. Si l'on demande à quelle distance est Québec, on vous répondra deux heures trente; Montréal, cinq heures; Ottawa, neuf heures . Pour le travail: quelques minutes...

Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est le pays de la Fabuleuse histoire d'un royaume, que des centaines de bénévoles défendent avec succès depuis 1988. On traverse l'océan pour voir ce spectacle créé par Ghislain Bouchard, symbolisant la nature ardente de ce peuple. C'est le pays du bleuet, fruit sucré source de vin doux, d'apéritif, de confiture et de tarte, évoquant leur légendaire sens de la fête. On y dénombre plusieurs centaines d'écrivains, de nombreux peintres, comédiens et musiciens.

C'est aussi le pays des clochers. Le fier orgueil opposant, de génération en génération, les héritiers des moulins contre ceux de la terre, ceux du commerce contre ceux des usines, milieu urbain contre milieu rural. Vous dites: esprit de clocher ? Le feu ravage la région (1872), les eaux inondent les plaines (1928), ou dévastent villes, villages et routes (déluge 1996) et, où qu'ils soient, Saguenéens et Jeannois transforment la catastrophe en spectacle de solidarité, la date fatidique devenant thème de chanson. Pas de pleurs sur les pertes. On vantera la récolte des bleuets sur les terres brûlées et rendra célèbre une petite maison blanche qui a résisté à la fureur des flots. On ne parle pas des ruines, on leur rend une seconde vie.

Et ce pays est le mien.

En Belgique, mai dernier, on m'a dit à mon accent: «Ah! Tu n'es pas d'ici.» Je les ai crus .... heureuse.


Automne 1998
Texte publié dans la revue Boomers dont l’existence fut éphémère