samedi 13 mars 2010

Jean Ferrat, encore un adieu

Jean Ferrat - 1930-2010
© Photo AFP

Je viens d'apprendre, en lisant le blogue d'un ami, la mort de Jean Ferrat. Ce nouveau deuil m'atteint avec quelques heures de retard. Poète d'une solidarité indéfectible, il m'a soufflé les mots de mes révoltes et pousser au bout de mes passions en me faisant mieux entendre Aragon.




Je suis sous le choc. Je n'ai pas envie de lui dire adieu. Aussi, je fais miens ses propres mots qu'il chantait à son père : «Tu aurais pu vivre encore un peu».



***
Un texte de mon ami le peintre Niala
qui manipule les mots avec dense-citée

T'AURAIS PU VIVRE... EN CORPS UN PEU...

En corps un peu
T'aurais pu vivre Jean
Encore un peu
C'est pas parce que maintenant ton âme est immortelle
Que tu devais te raser la moustache
Ya d'la chair pour les canons
Qu'est bonne à trinquer après les boules
Un jeu de paumes empoignées
Fait pas l'âne
Reste
On va r'prendre un dernier vert
Le soleil te lèche la montagne
Elle pouvait qu'être encore plus belle
Pour ce dernier cortège jusqu'à ton lit
Au jour d'huis elle s'ouvre
Tu prends la porte
Va, elle t'attend ta Muse
Heureuse d'être guérie
Laisse ouvert
Ne ferme pas les yeux
On est dedans
Pour la faim des temps qui chantent
Pour l'espoir
Pour la joie de vivre
Pour aller au bal des poétes faire denser le néant
Au son de tes paroles
Apollinaire au piano
Lou aux lèvres de tes chansons
Aragon à l'accordéon
Chagall au violon
T'aimant à en perdre la raison
Mais, t'as pas fini ton verre...

Loisobleu

vendredi 5 mars 2010

Lettre à Naema



À toi Naema d'Égypte qui a été accueillie au Québec.

Je suis, comme toi, une immigrante venue d'un autre pays. J'ai choisi de vivre au Québec parce que j'en aime sa modernité de pensée où je peux vivre ma vie de femme sous le regard des hommes, mes amis, mes alliés, mes amours.

Élevée dans un milieu catholique, j'ai participé à la lutte contre des croyances issues d'un temps millénaire où les femmes étaient considérées inférieures, où les femmes devaient jurer obéissance aux hommes, où les femmes étaient perçues comme les tentatrices et donc les coupables du désir des hommes. J'ai contribué, avec les hommes et les femmes de ce pays, à édifier cette société moderne où le mot liberté s'épelle avec les lettres du mot respect.

Naema, j'éprouve un grand malaise à t'entendre revendiquer le droit de te voiler le visage. Ce n'est pas le vêtement mais tout ce qu'il évoque qui m'indispose. Nous entendons que cela est ton choix personnel. Mais pour toi comme pour nous, nos choix personnels ont une limite. Notre société comporte ses règles incluant de se présenter à l'autre à visage découvert. Le contraire est perçu comme un manque de respect. De nombreux érudits de l'Islam ne cessent de nous expliquer que la religion dont tu te revendiques n'oblige pas les femmes à porter voile ou niqab. Ta propre croyance, expliques-tu, assure que ton choix est religieux. S'il advenait que la seule «croyance» de chacun devienne «la religion» dont notre charte a voulu protéger la libre pratique, j'imagine mal comment accommoder l'exception sans égard pour les convictions de la majorité.

Je te dirai alors que, selon ma croyance, ton choix de porter le niqab pour te soustraire aux regards des hommes est une injure à mon honneur de femme et insulte mon fils. À mon sens, ton choix est signe d'arrogance et non d'humilité, d'orgueil guerrier et non de modestie, te servant de notre conception de la liberté pour nous imposer ce niqab dont le symbole implicite évoque l'oppression des femmes et la négation de leur droit à l'existence.

Ton voile se dresse entre mon fils et les fils de mes sœurs et amies du Québec comme si, parce qu'ils sont hommes, leur regard ne pouvait être que pervers, concupiscent et sans respect pour toi. Ton voile se dresse entre mon visage nu et ma dignité comme si sa nudité était une offense à la modestie, à la pudeur et un appel à la luxure. Ton voile m'oppresse parce que je crois qu'il dissimule trop de blessures encore aujourd'hui imposées à d'autres femmes. Sais-tu que certaines de tes sœurs parmi nous portent le niqab pour se cacher d'une famille qui les menace de mort pour le seul crime d'avoir voulu affirmer leur liberté? Et je les aide à le porter, avec la crainte et la révolte que je partage avec elles. Ton niqab est politique et il m'outrage car tu comptes te servir des lois de mon pays conçues pour protéger nos libertés.

Je me sens terriblement humiliée, comme mère d'un fils à qui j'ai appris que les hommes et les femmes sont égaux et se doivent un respect mutuel. Je me sens isolée de toi par toi, qui te refuses de comprendre que nous voulons pour nos filles et nos fils un autre monde que celui que tu as quitté.

Dans un article de La Presse, je lis :
«Hier, elle (
toi Naema) s'est vidé le cœur. Elle ne comprend toujours pas pourquoi le cégep l'a expulsée. «Ils ont détruit mes rêves», accuse-t-elle.»»


Moi, je ne comprends pas pourquoi tu ne comprends pas. Et ce sont mes rêves que tu détruiras si jamais cette société qui est la mienne cédait à ton entêtement vestimentaire et ouvrait la porte à toute idéologie qui convaincrait ma petite-fille Élika à se couvrir d'un voile et disparaître aux yeux des hommes.

Gérard Bouchard, homme de tolérance s'il en est, et co-signataire du rapport Bouchard-Taylor n'a pas hésité à exprimer, à l'émission radiophonique de Christiane Charrette, son indignation. Il a dit :
«De se sentir obligée de tourner le dos à la classe pour ne pas regarder [les hommes], de demander à trois hommes de se déplacer pour ne pas les voir : je crois que ces comportements installent l'homme dans une position inférieure. C'est comme si l'homme inspirait une répulsion, qu'il était une source de mal, d'abjection.»

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Autre lien :
http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201003/02/01-4256828-port-du-niqab-au-cegep-accommodement-sans-heurts-a-ste-foy.php