samedi 28 novembre 2009

Le clown noir au masque de fer


Diogène, Groosomodo, Trac, Piedestal, Contrecœur
Les Clowns noirs et



Christian Ouellet



Décidément, ils sont uniques!

Les Clowns noirs ne se comparent même pas à eux-mêmes. De pirouettes verbales en pirouettes physiques, ils parviennent à chevaucher un même thème sans nous lasser.

Après des années de combat contre la brigade anti-culture qui avait pour mission d'empêcher la diffusion d'œuvre théâtrale en région (La Farce de Pierre Pathelin), traversant les salles désertes sans perdre leur détermination (En attendant le Déluge), revisitant les écrits de Shakespeare pour livrer une irrésistible version de «Roméo et Juliette» réglant le sort à la brigade anti-culture sans craindre la prison, ils avaient finalement retracé le tout premier clown noir, alias Barabbas, dans un jeu volontairement plus près du théâtre conventionnel. De 2005 à 2008, les cinq clowns du Théâtre du Faux coffre ont livré le rire à provision devant des salles de plus en plus fréquentées.

Le talent de ces joyeux lurons ne pouvait nous être exclusif. Chacun se devait d'explorer d'autres scènes, d'autres répertoires et d'autres espoirs. Dès lors, il leur fallait nous convaincre du sérieux de leur adieu. Mais comment les exterminer? Sinon dans un ultime éclat de rire plein de leur impétuosité comique, ingénieusement dissimulé sous un masque de fer.

Soir de première

Mercredi 25 novembre 2009, lors de la grande première mondiale - pourquoi jouer modeste? - de la dernière aventure des Clowns noirs, «Le Clown noir au masque de fer», je savais qu'ils bénéficiaient d'un a priori propice à l'indulgence. Car une première c'est le coup d'envoi d'une œuvre qui ne cessera de s'améliorer. L'intensité de se retrouver sur scène face au public est souvent proportionnelle à l'angoisse ressentie sur les réactions de ce même public. J'avoue n'avoir aucune envie de me souvenir des points faibles de cette production, trop occupée que je suis à rire encore aujourd'hui de certaines scènes qu'eux seuls peuvent se permettre.

Sans trahir leur effet, mentionnons la remise de l'épée au roi. Une réplique tout à fait inattendue mais d'une grande efficacité… Dans tous les sens. (Il faudra voir pour comprendre)

Le Théâtre du Faux coffre transforme sa «pauvreté» en richesse, compensant la modestie de leurs décors, des accessoires et des costumes par une ingénieuse interaction entre les personnages et les comédiens. Ils sont les Clowns noirs, personnages fictifs d'une mise en scène et six comédiens (avec Christian Ouellet, leur complice depuis Barabbas), sans cesse en équilibre entre le jeu théâtral et le jeu d'une camaraderie, séduisant tout en déstabilisant le public. Cette particularité des Clowns noirs leur est propre. Ce qui les rend uniques.

Qu'on ne s'y trompe pas, «Le Clown noir au masque de fer» est une histoire plus forte qu'elle ne parait. La réflexion est bien présente, la critique sociale et politique atteint ses cibles et les trouvailles, nombreuses, exigent toute notre attention.

J'ai aimé toutes les productions du Faux coffre. Mais plus particulièrement leur «Roméo et Juliette». J'en ai parlé sur ce blogue, ici. Cette dernière aventure réunit les qualités de tout ce qu'ils ont fait depuis leurs débuts. Christian Ouellet, sans être un clown noir, a su parfaitement s'intégrer au groupe et, dans cette pièce, ajoute à notre plaisir par la qualité de sa performance.

Inoubliables Clowns noirs!

Les représentations ont lieu à la salle Murdock du Centre des arts de Chicoutimi, à 20h du mercredi au dimanche jusqu'au 6 décembre. Par prudence, mieux vaut réserver. Voir l'affiche plus haut.


Le commencement en 2005 - La Farce de Pierre Pathelin





dimanche 15 novembre 2009

Salle de spectacle : Go Multimédia se prononce


Go Multimédia a déposé son rapport sur les coûts d'une nouvelle salle de spectacle à Chicoutimi. La population aura, dit-on, l'opportunité de se prononcer sur l'option qu'elle préfère. Mais quelle sera la question posée?

Dans un cas, il s'agit de rénover du vieux. Dans l'autre il s'agit d'investir dans du neuf. Et le coût dont il faut se soucier sera celui que le contribuable saguenéen aura à assumer.

Dans un cas comme dans l'autre, la majeure partie des fonds provient de l'extérieur. Juste retour de nos impôts payés au fédéral et au provincial, complétés par des fonds privés recueillis dans la collectivité. Donc, dans un cas comme dans l'autre, la part de Saguenay serait sensiblement la même que ce soit pour rénover ou pour construire. C'est CE chiffre-là qu'il sera important de soumettre aux citoyens.


© Progrès-Dimanche 17 février 2008


Au tout début du rapport Go Multimédia nous lisons: «Lors de nos entretiens avec ces organismes, nous avons compris qu'ils convoitaient plutôt l'acquisition d'une salle pluridisciplinaire avec une acoustique de qualité et qu'un site faisait consensus auprès de tous, soit la zone ferroviaire, localisée sur le boulevard Saguenay Est, à l'est de la rue Lafontaine. Consensus de tous sauf le théâtre du Saguenay qui ne fait pas partie des groupes revendiquant la construction d'une nouvelle salle de spectacle.»

S'appuyant sur ce dit consensus, l'étude n'a donc pas regardé s'il existe un site alternatif qui aurait pu, lui aussi, faire consensus. On ignore si la question a seulement été soulevée. Or cette information importe puisque le rapport tient compte d'un aspect qui influe sur les coûts. C'est-à-dire le fond du terrain nécessitant une structure compensée pour soutenir le poids de la construction, les frais de décontamination et le coût d'un stationnement (j'imagine que cela sera vrai pour tout autre édifice construit sur ce site).

Mais attention! Il faut savoir si, salle de spectacle ou pas, la décontamination et la réalisation d'un stationnement, Saguenay entreprendra tout de même ces travaux, ainsi que décrit ici dans son projet de rénovation du Centre-Ville. Si cela est, ces dépenses ne devraient donc pas être incluses dans les coûts de la nouvelle salle puisqu'elles figurent déjà dans les projets de la Ville. Sinon, ils ne servent qu'à gonfler le prix global du projet de la nouvelle salle de spectacle.

Go Multimédia
a consulté les organisme et leurs représentants suivants: L'orchestre symphonique représenté par Daniel Tremblay et Jocelyn Robert, Le Festival de musique du royaume (Gabrielle Gaudreault présidente fondatrice, Hélène Gaudreault, André Salesse), les porte-parole des Étudiants du Conservatoire (Marie Gilbert Thévard et Éric Dufour), la Société d'art lyrique du royaume (Luc Blackburn, président et conseiller municipal) et le Théâtre du Saguenay (Robert Hakim directeur général et Éric Asselin).

Notons - je crois que cela a de l'importance - que cette étude a été réalisée avec la collaboration du client de Go multimédia, soit Ville de Saguenay représentée par Jean-François Boivin et François Hains.

Pour revenir sur «l'exclusion» du Théâtre du Saguenay dans le dit «consensus» et je cite: «Consensus de tous sauf le théâtre du Saguenay qui ne fait pas partie des groupes revendiquant la construction d'une nouvelle salle de spectacle», il serait utile de se souvenir d'un passé récent. En 2005, l'Association des centres-villes déposait un projet d'implantation d'une nouvelle salle de spectacle polyvalente de 1200 sièges rejoignant les attentes des organismes culturels. Ce projet a reçu sans équivoque l'aval du Théâtre du Saguenay. Et pour cause, cette infrastructure ne se limitait pas seulement à une salle de spectacle, mais prévoyait loges, bureaux, salle de répétition, café et autres commodités modernes. Coût prévu: 16M$. La contribution demandée aux contribuables de Saguenay se limitait à 3 M$ contre une participation de 2,2 M$ pour un projet de rénovation de l'auditorium Dufour dont le coût total était alors évalué à seulement 3,5 M$. Précisons que c'est sur cette sous-évaluation du coût des rénovations de l'auditorium Dufour (projet Sirois) que Ville de Saguenay a imposé son choix.

Rappelons que le 4 avril 2005, sans consultation, unilatéralement et muselant toute opinion contraire au projet Sirois, incluant les porte-parole du Théâtre du Saguenay, les élus de Saguenay ont appuyé sans s'exprimer la décision du maire Jean Tremblay. J'en ai parlé ici.

Aux premiers temps de cette saga d'une salle de spectacle, à Chicoutimi, c'est donc bien le Théâtre du Saguenay qui le premier appuyait le projet d'une nouvelle salle de spectacle, projet soumis par des gens d'affaires de Saguenay. L'organisme culturel, comprenons-le, n'a pas eu d'autre choix que de se rallier à l'option «rénovation» afin de sauvegarder son statut de diffuseur officiel et d'assurer sa survie.

Le projet de Go Multimédia

Le rapport de Go Multimédia décrit avec détails et illustrations ce que sera la nouvelle salle de spectacle. Projet qu'il recommande d'ailleurs.

Cette partie est très intéressante, mais occulte totalement toute comparaison avec «l'autre produit» en concurrence, c'est-à-dire l'auditorium Dufour rénové. Rappelons que les coûts de cette rénovation n'ont cessé de croître depuis 2005. Voir ici.

Ce rapport anticipe les coûts d'exploitation et d'entretien de la salle de spectacle particulièrement élevés. Dans un dossier bien étoffé réalisé sur le sujet en 2005, Yvon Paré, alors journaliste pour Le Quotidien écrivait déjà : «Après vérification auprès de plusieurs intervenants, les coûts d'entretien dont on fait souvent mention dans la région sont nettement gonflés. Nulle part au Québec ces frais ne dépassent les 175 000 $. Alors, quand on parle de 500 000 $ pour l'entretien d'une salle, on exagère.» (Un investissement réaliste, Progrès-Dimanche 16 janvier 2005, page B 13)

© Progrès-Dimanche 16 janvier 2005

Curieusement, on ne parle pas des retombées économiques directes et collatérales, ni même des revenus anticipés de cet investissement. Pourtant il existe des exemples vérifiables où d'autres municipalités ont fait la preuve des avantages d'un tel investissement. Comment la population pourra-t-elle prendre une décision éclairée avec des données aussi incomplètes?

Que dire? «Des études sérieuses évaluent à un million de dollars les retombées de la programmation de l'Auditorium Dufour dans le milieu. Il n'est pas fantaisiste de multiplier ce montant par trois au cours des années suivant la construction ou une rénovation sérieuse. La ville se prive de plusieurs millions en ne bougeant pas. Sans compter qu'une salle peut être un élément clef dans la relance d'un centre-ville. La preuve a été faite partout au Québec. Est-ce qu'une nouvelle salle de spectacles est un placement ou une dépense? À vous de trancher.» (Progrès-Dimanche, 16 janvier 2005, page B4 : Un outil de relance privilégié)

© Progrès-Dimanche 16 janvier 2005

Pour faire le bon choix, le citoyen doit savoir le prix qu'il paiera réellement dans un cas comme dans l'autre. Lui laisser croire qu'il doit décider de dépenser 10,5 M$ en rénovation ou 39 M$ en construction nouvelle serait malhonnête. Mais voilà, le rapport Go Multimédia n'explique nulle part la provenance des fonds requis et donc, nous tient dans l'ignorance quant aux déboursés réels des contribuables de Saguenay dans ce projet.

Le rapport Go Multimédia laisse trop de questions sans réponse pour s'en contenter. Il a certainement respecté le mandat qui lui a été donné.

Aux défenseurs d'un projet d'avenir ambitieux de se mobiliser.

***

Copie de l'étude réalisée par Go Multimédia disponible sur le site de Saguenay dans les Dossiers de l'heure: ici

***

jeudi 12 novembre 2009

Un Ubu roi qui a du panache

Ubu Roi d'Alfred Jarry - Les Têtes Heureuses 2009
Martin Giguère, Christian Ouellet, Patrice Leblanc

© Photo Jean-François Caron

Les têtes Heureuses nous ont depuis longtemps appris que leurs productions créaient chaque fois un évènement. Il y a toujours «un je n'sais quoi» qui confère à leur théâtre une profondeur qui doit tout à leur mise en scène et à leur distribution. Leur Ubu Roi le confirme une fois de plus. Leur Ubu roi a du panache.

Mes réserves ébranlées

Je n'aime pas le théâtre burlesque. La farce vulgaire, grotesque me hérisse. Et la lecture du texte de la pièce d'Alfred Jarry me laissait mitigée quant au plaisir anticipé. Cependant, les Têtes Heureuses sont une valeur sûre. Et plusieurs noms de la distribution valaient le déplacement.


Christian Ouellet dans UBu Roi
© Photo Merryl B. Lavoie

Oh! surprise! J'ai succombé à la séduction d'un jeu théâtral exceptionnel. Coup de maître, dès le départ, que de confier tous les rôles, féminins comme masculins, à des hommes. La farce est sans équivoque. L'audace aussi, d'une mise en scène qui, poussant au paroxysme l'intention d'une vulgarité consommée dans une scène très osée de «fornication», campe les personnages avec force. Et il fallait l'incroyable talent de Christian Ouellet (Père Ubu) et de Martin Giguère (Mère Ubu) pour réussir à imposer une image sexuelle puissante sans heurter. Le spectateur est bousculé certes, mais il comprend mieux pourquoi la dynamique de ce couple entraîne l'un et l'autre au-delà de ses propres limites. Si désireux de richesse et pouvoir qu'il soit, Père Ubu ne franchit le pas que poussé par l'ambition démesurée d'une femme qui sait comment l'asservir.

Modernité de la mise en scène

Ainsi qu'il l'avait habillement réalisé dans la mise en scène de «Guerre», suggérant les temps et les lieux par le déplacement de quelques accessoires, Rodrigue Villeneuve a pris le risque d'une mise en scène dépouillée, occupant l'espace central du théâtre tandis que les spectateurs se retrouvent de part et d'autre de la scène.

Christian Ouellet (Ubu)
Patrice Lebanc (Capitaine Bordure)

Ubu Roi - Têtes Heureuses 2009

© Photo Jean-François Caron

La pièce se déroule en crescendo où la vénalité des uns s'ajoutent à la convoitise des autres, broyant tout sur leur passage, l'un pour assouvir sa soif de pouvoir, l'autre pour s'approprier le bien des autres. En situant l'action en Pologne, ainsi que le voulait Jarry pour mieux dire que le lieu du délit est sans importance, le drame qui se joue s'universalise et, inévitablement, démontre sa vérité intemporelle.

Sur écran des images projetées pendant la pièce évoquent l'existence d'autres Ubu Roi que celui de cette fiction. Il aurait été souhaitable que l'on soit plus mesuré dans le choix de ces «illustrations»… La suggestion aurait gagné en force à ne cibler que des exemples incontestables d'une pareille cruauté.

Pour illustrer ce qui suit, exemple de photos projetées
Le lynchage de Thomas Shipp et d'Abram Smith

Photo trouvée ici

J'ai éprouvé le même inconfort devant la projection des pendaisons des Noirs américains accompagnant la scène des meurtres d'Ubu contre les «nobles fortunés». L'assassinat raciste de ces hommes et femmes, souvent pauvres - tableaux insoutenables s'il en est - n'ont aucun lien avec ce qui se passe sur la scène et interfèrent sur l'attention portée à l'action qui se déroule.

Et quelle action: un tourbillon de folie, de va-et-vient tonitruants, de rebondissements loufoques et dramatiques. On assiste à un méli-mélo savant où se succèdent coups de fusils, adieux mélodramatiques, crimes et poursuites.

Les comédiens

Martin Giguère crée une Mère Ubu d'une extrême efficacité. Un jeu caricatural habilement maîtrisé qui transcende toute la vénalité du personnage.

Christian Ouellet est tout simplement exceptionnel. Son jeu est si intense que l'on reste accroché à l'expression de ce visage où tout passe. Les yeux tantôt rieurs, tantôt cruels, ajoutent à l'éloquence de la voix et du geste. Une présence si forte qu'elle accentue les quelques faiblesses des autres. Ne fusse que pour voir ce duo magistral, cela mérite de se précipiter au Petit-Théâtre de l'Université du Québec à Chicoutimi. Les dernières représentations auront lieu du 12 au 15 novembre.

La distribution se compose également du très sérieux Patrice Leblanc en Capitaine Bordure, du clown attendrissant Guillaume Ouellet en héritier adolescent Bougrelas, du sage un peu hautain Marc André Perrier en Venceslas, ainsi que de l'ineffable Éric Renald en Reine Rosemonde grandiloquente.


Une très bonne critique de Mélyssa Gagnon
© Le Quotidien, 31 octobre 2009

Quelques liens complémentaires :

http://www.cyberpresse.ca/le-quotidien/arts-spectacles/200910/21/01-913392-ubu-roi-un-clin-doeil-aux-politiciens-actuels.php

http://specialdujour.hautetfort.com/archive/2009/11/02/ubu-roi-sombre-et-jouissif.html

http://lesclapotisdunyoyo2.blogspot.com/2009/10/ubu-roi.html


***