jeudi 22 juillet 2021

Les Revenants d'Yvon Paré, une œuvre magistrale!

 


 

 

Lorsqu’un auteur met plusieurs décennies à écrire un livre, le lecteur peut bien lui consacrer quelques semaines à le lire. Il m’en a fallu six, alors que je dévore souvent plusieurs centaines de pages en un seul jour. Les Revenants, roman d’Yvon Paré, est sans conteste le roman d’une vie. Un roman qu’il faut absorber lentement pour en savourer toute sa richesse poétique, sa sensualité et cette introspection de l’être.

 

Faut-il égarer ses souvenirs pour vivre aussi pleinement le présent, pourrait-on se demander ? Richard-Yvon Blanc s’éveille dans une grande maison vide de La Doré, ne sachant plus qui il est. Son esprit est une page blanche où s’écrira chaque instant comme s’il était le premier. Un chat, Monsieur Melville partage son espace qu’emplissent les mots du Jack Kérouac dans le prisme de Victor-Lévis Beaulieu. Conscient de son amnésie, l’homme sans nom choisit de se nommer Presquil, disant de lui : « Je suis un rescapé, un survivant des trous noirs de ma mémoire. »

 

Sa solitude sera bien vite troublée par l’arrivée de personnages hétéroclites, venus dans l’intention avouée d’aider Richard-Yvon Blanc à retrouver la mémoire, tous l’ayant connu, tous témoins de sa vie antérieure.  Le couple Bach et Nokomis installé dans la maison voisine,  la sculpteure Flavie et son autobus cracheur d’huile, Félix sauveteur de maison ancestrale, vont patiemment tisser la toile du souvenir, ravivant sciemment la fêlure originelle, 1980 , le référendum sur l’indépendance du Québec alors que sombrait dans le NON le rêve d’un pays. Des mots qui l’agrippaient, brûlant d’un échec insupportable. « Les phrases, une fois libérées, personne n’arrive à leur mettre la main au cou. »

 

Page après page, Presquil, aborde le rivage de son passé. Les mots dont on l’abreuve reconstruisent les pans  du souvenir, déconstruisant le mur de l’oubli qu’il a dressé contre Richard-Yvon.

 

Une méditation, une introspection,  une contemplation, ainsi va ce roman particulier empreint d’une vaste culture littéraire et d’un douleur réelle des humiliations subies, des échecs répétés dans la quête d’un pays avorté. Par la voix de ses personnages, Yvon Paré évoque les années intenses aux musiques de Manège, Harmonium, Beau Dommage, Octobre. Ainsi qu’au martellement des bottes lors des mesures de guerre, en 1970 : « Le Québec frémissait sous les pas des militaires. Nous n’étions que des lâches et des misérables. Ça me tuait d’y penser. Pas même capable de déclencher une grève générale! Nous avions laissé nos poètes croupir en prison. »(P. 162)

 

Tandis que Presquil s’emplit le regard de la couleurs des fleurs sauvages et du vol des oiseaux : « Les oiseaux volaient si près d’eux parfois qu’ils étaient secoués par le tourbillon de leurs ailes »(P. 45), il respire les odeurs de la faune et de la flore, goûte aux plaisirs des fruits tendres et de la chair. 

 

Se reconstruit un passé  morcelé : « Ma tête est pleine de courants d’air et entre ma vie d’avant et celle de maintenant, se faufile cette frontière, un fil, une autoroute, je ne sais pas. […] Je suis un spasme dans un nœud du temps, une déflagration qui me pousse à la frontière de l’imaginaire. […] Ma vie est une énigme. Je suis et ne suis pas. » (p. 204)

 

 

Tout simplement magistral!

 

Christiane Laforge

22 juillet 2021

 

***

 

Autres analyses sur ce livre :

 

 

https://passionchronique.blogspot.com/2021/05/yvon-pare-les-revenants-montreal-pleine.html?

 

https://www.journaldemontreal.com/2021/06/26/revivre-1980-de-lechec-a-la-poesie?fbclid

 

https://dominiqueblondeaumapagelitteraire.blogspot.com/2021/05/le-temps-des-hommes-et-des-betes.html?

lundi 1 février 2021

L’Autre, un bel opus signé Arsenault-Langevin



 

Roger Langevin, parolier et Serge Arsenault, compositeur et interprète ont dépassé le climat pandémique maussade pour nous livrer un album tout en tendresse. Dix chansons qui sont comme une caresse à l’âme. Certains textes de Roger Langevin nous griffent le cœur par le chagrin exprimé. Mais cela est dit avec tant d’amour et  d’intensité qu’il donne de la beauté à ce qui pourrait être triste.

 

La musique de Serge Arsenault danse les mots à différents rythmes, légers parfois, intimistes souvent, avec sobriété, permettant aux mots de s’y épanouir. Les arrangements de Raphaël D’Amours, multi-instrumentiste multiplie les genres avec doigté, comme un marin sachant d’où vient le vent. D’autres collaborateurs, choristes, graphiste et autres ont contribué à la réalisation d’un album de classe, qui nous offre 10 chansons dont aucune ne permet l’indifférence..

 

Ma tourtelle

Chanson amoureuse

  

Les notes sont comme des gouttes d’eau perlant sur le visage de l’aimée.

Un rythme folk joyeux comme un sourire malgré la tristesse du souvenir.

 

Souviens-toi

Chanson d’amour

Comment exprimer la douleur de voir l’être aimé disparaître dans les brumes de l’absence de ses souvenirs ? Roger Langevin évoque, par anticipation, cette rencontre impossible entre l’amour de sa vie désormais perdue dans un univers parallèle où elle attend son amant de toujours pourtant chaque jour à ses côtés. Rien de mélodramatique dans ce beau texte habillé d’une musique sobre et chantée avec émotion par Serge Arsenault, dont les accents fragiles de sa voix donnent l’impression qu’il parle de sa propre histoire, s’appropriant les mots d’un autre comme si ils étaient siens. C’est troublant, émouvant et ne pourra que toucher toute personne confrontée à cette cruelle maladie que l’Alzheimer.

 

Les clics

Un rythme vif

 Comme un coup de vent rafraichissant, après l’intensité des deux premières chansons, survient «Les clics » évoquant cette nouvelle manie que notre société a développée envers l’Internet où plutôt que de consulter nos livres, nous confions nos questions aux moteurs de recherche,. « Tout savoir si tu veux/ est à portée du doigt/ En tous lieux sur la terre/ Peu importe  où tu sois ». L’humour au service de faits avérés.

 

L’autre

Belle intro au piano.

Passe le temps trop vite et il y urgence de vivre. Il faut avoir vécu pour saisir toute la vérité de ce texte. Il y a tellement mieux à vivre que les conflits. « Pourquoi ne pas alors/ Avant l’inévitable/ Se tenir la main/ S’asseoir à la même table?» pour terminer dans cet appel : «Le temps passe/ Il y a la vie qui nous unit/ Le temps passe, le temps presse/ Je ne serai pas l’autre/ Mais ton ami. »

 

La banquise

Des notes sur lesquels on glisse agréablement

À l’écoute de cette chanson, portée par une musique enlevante, on a l’impression de s’immiscer dans un court métrage. C’est très visuel et poétique.

 

Le chant d’honneur

Rythme martial

Je n’ai pu m’empêcher de penser à Claude Léveillée, terrassé en plein spectacle par une hémorragie cérébrale en 2004. Mais en Cliquant sur Google (Eh! Oui) plusieurs ténors et comédiens, au Québec et ailleurs, ont succombé à une crise cardiaque devant public. Cette chanson, porte bien son nom « Chant d’honneur ». Y aurait-il des morts plus belles que d’autres, « Mourir d’une crise de cœur/ Sur scène devant public  […) une occasion unique», ce chanteur qui survit « Car on entend encore/ Sa voix sur un CD ».

 

Adieu Mado

Chanson nostalgique

Une musique dépouillée, intime, qui raconte une amitié, évoquant les souvenirs partagés qui survivront à la mort. Reste le visage à jamais figé dans sa jeunesse.

 

 Le mur

Un texte qui va plus loin que ce qu’il dit

Un mur qui nous incite à penser à tous les murs qui séparent les uns des autres. Un chant universel.

 « Hier l’indifférence/ Et le chacun pour soi/ Nous isolait l’un l’autre/ Sur la terre où qu’on soit./ C’était un mur de peur/ De haie de mépris/ L’ennemi c’était lui/  On le sait aujourd’hui.

Un chant d’espoir et de foi en l’amour, superbement mis en musique. Un beau chœur composé de Serge Arsenault, Marie-Anne Arsenault et Raphaël d’Amours. Ce dernier a aussi fait les arrangements, la réalisation de cet album.

 

Définitivement

Une continuité à Souviens-toi

 On hésite entre les larmes et la séduction. Ce texte est de toute beauté et trouvera écho auprès de nombreuses personnes devant traverser  «Définitivement » ce deuil d’une personne aimée encore vivante. Interprétée avec justesse par Serge Arsenault, c’est une chanson coup de cœur, sobre et si riche à la fois. Cette démence survenue sournoise et, comme le dis le poète

 « Tu es là, je te vois/ Pourtant tu es une autre/ Un instant je revois/ L’amour qui fut le nôtre./

Poursuivant «À l’éclair d’un coup d’œil/ À ce rire tout à l’heure/ Venu teinter mon deuil/ D’un éclat de couleurs/. »

 

La mer si bleue

La mer dévorante

 Ne pas se surprendre à ce que la dernière chanson évoque la tempête. La vie est un navire voguant sur l’océan dont les marins épris sont souvent la proie dont elle s’empare. L’amour, la vie, la mort, un même cercle infernal qui unit et sépare les amants.

Surtout ne pas croire que cet album est tissé de tristesse. Il est émouvant, troublant par les émotions qu’il avive, mais dans le ton musical, dans l’interprétation, avec des arrangements musicaux  en harmonie avec les mots, le tout accompagné de chœurs subtilement intégrés. On l’écoute séduit, ému et, curieusement, apaisé de nos propres deuils présents et à venir.

 

Christiane Laforge

1er février 2021

 

Pour en savoir davantage, voir le lancement virtuel de L’Autre qui a eu lieu de vendredi 15 janvier.

 

https://www.facebook.com/arsenaultlangevin/videos/1878018312350585

 

Voir aussi la page Facebook arsenaultlangevin :

https://www.facebook.com/arsenaultlangevin

 

 

Roger Langevin sera reçu Membre de l’Ordre du Bleuet, lors du prochain gala honorifique qui devrait avoir lieu à Alma le 5 juin 2021.