lundi 20 octobre 2008

Triple deuil

En moins d’une semaine, sur deux continents, j’ai dit adieu à trois personnes.
Jean-Guy Barbeau, Georges Gillotay et Gilles Paradis.

Jean-Guy
Pour le premier, il était 11h quand j’ai su. Quatre heures plus tard, j’avais «pleuré» les mots de ce chagrin dans un texte publié le lendemain dans les pages du journal Le Quotidien.

Georges

Pour le second, ce fut plus discret. Une lettre à son fils Patrick, en Belgique, pour lui dire toute l’affection de sa famille québécoise. Georges était venu au Québec en 1988, en compagnie de Suzanne. Quelques semaines inoubliables, disait-il. Je l’ai revu, pour la dernière fois, chez lui, en 1998. Nous avons écouté chanter Helmut Lotti, ravi de me prendre en défaut, lui qui connaissait Vigneault, en m’informant que ce chanteur est belge.

Gilles



Gilles Paradis, été 2008
© Photo Jeannot Lévesque

J’ai connu Gilles Paradis avant de m’inscrire parmi ses consœurs de travail. C’était vers 1963. J’étais à l’âge où les parents disent aux enfants d’aller jouer dehors pour ne pas déranger les grandes personnes. Branle-bas de combat dans la maison : deux journalistes étaient attendus. L’aura du mot journaliste! Une espèce capable de provoquer le fantasme à la seule idée d’être doté de ce pouvoir de vaincre l’anonymat.

Gilles venait rencontrer mon père pour parler du projet «Parc Royal», un plan de développement touristique des monts Valin, avec pentes de ski, descentes des rapides, chasses à courre, et plus encore. Ce n’était pas une première pour papa. Il avait déjà fait les manchettes avec son pouvoir électrique construit sur la décharge, pourtant bien modeste, du lac artificiel qu’il avait fait naître à Saint-Honoré.

Puis ce fut mon tour, en 1972. Gilles Paradis, journaliste aux arts pour Le Soleil, avait écrit un reportage à partir des coupures de presse des journaux belges sur l’exposition de Jean Laforge à Bruxelles et le lancement, en présence du consul canadien, de sa biographie écrite par sa fille : «Christiane et Jean Laforge charment les critiques belges» écrivait Gilles Paradis. J’étais loin de soupçonner que nous allions tous les deux faire partie de l’équipe fondatrice du Quotidien, en 1973.

Gilles était celui qui demandait : «Comment vas-tu?» en demeurant attentif à la réponse. Ce n’était pas une formule de politesse, mais bien une vraie question. Je l’ai compris, un 24 mars. C’était mon anniversaire et personne ne semblait s’en soucier. Je me suis donc invitée au restaurant La Calèche pour un repas en solitaire. À l’entrée, j’ai croisé Gilles Paradis quittant les lieux.

- Ça va ? me demande-t-il, ajoutant aussitôt à ma grise mine :
- Ça va pas ?
- Juste mon anniversaire en solitaire, ais-je répondu.

Il est parti… Et revenu quelques minutes plus tard, une rose à la main.

Il était ainsi Gilles. D’une gentillesse à vous émouvoir. Et, je le regrette aujourd’hui, je ne lui ai jamais dit que cette rose amicale ne s’est jamais fanée.

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vendredi 17 octobre 2008

La culture, un enjeu politique en 2008




Progrès-dimanche
Arts Édito, dimanche, 12 octobre 2008, p. 52

La culture, une première au débat

Christiane Laforge

Rarement, voire jamais, les arts ont été un enjeu électoral au Canada. Il faudra se souvenir de cette élection d'octobre 2008, alors que la question des subventions au développement, au soutien et à la diffusion internationale de la culture est de toutes les tribunes. Si bonne soit ma mémoire, je ne me souviens pas d'un débat des chefs où il a été question de la culture et des artistes, comme ce fut le cas le 30 septembre dernier. Pourtant, sans distinction d'allégeance, l'incurie de nos gouvernements successifs à l'égard des arts n'a jamais fait défaut.

Outrée

Les organismes et les institutions de la culture sont constamment à se battre pour leur survie, dépensant une énergie folle à défendre leur existence avant de pouvoir songer à investir dans leur développement. Nos écoles aux classes surpeuplées craignent devoir amputer la musique, les arts visuels et le théâtre de leur programme officiel, que les écoles privées assument, à prix raisonnable certes, mais non accessible à toutes les bourses.

Et que dire des artistes, ces écrivains, peintres, sculpteurs, danseurs, musiciens, comédiens, ces créateurs dont le cerveau et le talent sont la matière première d'une industrie engendrant plus de 83 milliards $ de revenus dans notre économie collective? Alors que la grande majorité d'entre eux gagne moins de 20 000 $ par an. Une statistique où il faut tenir compte que la plupart cumulent plusieurs métiers, hors de leur profession artistique, pour subvenir aux besoins de leur famille.

Citoyenne d'une région qui étonne par le nombre incroyable de ses artistes actifs, fille adoptive d'un pays qui résiste à son assimilation, témoin privilégié d'une vitalité culturelle qui a enfanté ses héros reconnus dans le monde, je m'insurge contre les tenants du discours méprisant à l'égard des artistes.

Je suis outrée d'entendre et de lire les propos de ces "échotiers politiques" confondant les quelques "vedettes" dont se délectent les magazines populistes malheureusement populaires et les abonnés métropolitains des émissions de variétés, dites à tort culturelles, avec le créateur d'œuvres d'art, travailleur autonome sans droit au chômage ni à la sécurité d'emploi.

Mépris

Le discours démagogique d'un chef d'état et de ses subordonnés a trouvé échos auprès d'une population qui déverse un bien triste venin sur les forums de toutes les tribunes. Ils ont le temps d'écrire leur opinion dans une totale liberté d'expression. Cette liberté en voie d'être bridée par certains projets de loi, par l'abandon de programmes de soutien et les critères, non-dit ouvertement, en train de s'instaurer pour devenir éligible à une subvention (investissement?).

Pendant que chacun y va de ses qualificatifs lapidaires et injurieux à l'égard des artistes, peut-être devrait-on regarder davantage les faits.

Qui sont les gâtés?

Dénonçant les coupes récentes des subventions dans plus de 13 programmes, les artistes ont été taxés d'être gâtés et profiteurs. Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a annoncé 21 milliards de dollars pour stimuler l'économie canadienne (gens d'affaires, industriels, commerçants, importateurs, exportateurs: gâtés et profiteurs?). Cette mesure représente, d'ici 2009-2010, un avantage d'environ 1,3 milliard de dollars pour le secteur de la fabrication et de la transformation (Gâtés? Profiteurs?). Cela inclut 250 millions de dollars à un fonds d'innovation pour l'industrie de l'automobile (Gâtés? Profiteurs?). On s'inquiète de la Santé, de l'Éducation et du sort des familles monoparentales déclare un ministre. Le gouvernement a prévu 14,7 milliards $ pour la défense nationale.

Sur un budget global de 242 milliards, moins de 1,5% vont à la "culture". Précisons que le ministère du Patrimoine canadien chapeaute la culture, les arts, le patrimoine, les langues officielles, la citoyenneté et la participation, le multiculturalisme et les initiatives liées aux autochtones, à la jeunesse et aux sports.

En 2005, le Patrimoine canadien consacrait 66% de son budget à la culture. Aujourd'hui, la part du budget du ministère du Patrimoine consacrée aux arts et à la culture est de 58%, une diminution de 8%.

© 2008 Progrès-Dimanche.


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lundi 13 octobre 2008

Jean-Guy Barbeau


Jean-Guy Barbeau
une œuvre vouée à peindre «la femme»



Le Quotidien

Arts, samedi, 11 octobre 2008, p. 36

Le monde des arts est en deuil
Le peintre Jean-Guy Barbeau signe sa dernière toile, celle de sa vie

Christiane Laforge

CHICOUTIMI - Aussi discrètement qu’il a vécu sa vie, le peintre Jean-Guy Barbeau vient de nous quitter. Il succombe à une longue maladie qu’il a combattue avec l’élégance silencieuse qui était la sienne. Cet homme doux, humble dans le succès, a traversé nos vies en demandant si peu que sa mort éveille tous les mots retenus.

Ouf! Dirons-nous, en pensant à la grande rétrospective de ses œuvres, présentée en avril 2007 à La Pulperie de Chicoutimi, hommage lui a été rendu. Il a pu entendre et voir l’amour et l’admiration de ceux qui ont été ses élèves, ses compagnons, ses amis, tous éblouis par un maître qui n’a rien imposé aux autres sinon sa propre ferveur à atteindre l’absolu dans la forme et la couleur.

Jean-Guy Barbeau, l’insondable lac tranquille dont le calme apparent ne trahissait rien d’une angoisse persistante devant le désir impérieux de sonder le mystère de l’art! Que d’expériences, d’explorations, de doutes pour parvenir à son propre langage pictural. Que de persévérance, de travail et de recommencement pour atteindre la maîtrise essentielle à une œuvre vouée à peindre «la femme», à la rendre belle sans mièvrerie, à la confondre, avec superbe, avec les fleurs et les oiseaux. Jean-Guy Barbeau dont le silence vibrait de poésie!

Coïncidence? Pendant que les mots de ce texte hésitent sur le clavier, coule la musique de Spiegel Im Spiegel (Miroir dans le miroir) d’Arvo Part, lequel percevait sa musique comme une lumière blanche retenant toutes les couleurs que seul un prisme pouvait dissocier et rendre visibles. Barbeau a été ce prisme rendant visible ce qui est au-delà de la forme.

Le chant du monde

Résumer Jean-Guy Barbeau à son parcours professionnel et social serait aligner des tubes de couleurs sans les ouvrir. La palette de sa vie est un foisonnement de contrastes où la transparence côtoie l’insondable.

Natif de Lorettville, il a vécu son enfance à Bellechasse, avant de s’installer à Chicoutimi en 1951. Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Québec, professeur d’arts plastiques au Secondaire à Chicoutimi, il fait partie des pionniers de l’enseignement des arts au Saguenay auprès de Pierrette-Gaudreault, fondatrice de l’Institut des arts, tout en poursuivant sa propre quête dans la solitude de son atelier de la rue Melançon, le regard rivé sur les monts Valin.

Son œuvre, trop peu connue du public, a pourtant rayonné du Québec jusqu’en Europe, où il a exposé en Pologne et en Hongrie. Et pour cause! Touche à tout intellectuel, Jean-Guy Barbeau a fait l’essai de plusieurs styles et matériaux. Émule de grands peintres, sensible à l’audace des autres, le parcours de ce peintre inclut de nombreuses tendances, allant du tachisme à l’abstrait, du fauvisme au cubisme. Des explorations d’où il est revenu avec un style bien à lui, un style qui lui survivra et fera écho à des œuvres futures. L’art de Barbeau est intemporel.

Que l’œil prenne plaisir à plonger dans les jeux géométriques de ses compositions, surfant sur les transparences savamment brossées par couches superposées, n’exclue pas une sensibilité attentive aux grandes préoccupations de son temps. Chantre de la femme, certes, mais pas seulement cela. Certains de ses tableaux évoquent les conflits guerriers, la douleur humaine, d’autres racontent notre passé. Il est l’auteur d’une imposante murale de plus de 278 mètres carrés qui parait autrefois le mur à l’accueil de la Maison de la presse inaugurée en 1980, laquelle résumait les grands moments de l’histoire de la région.

La fin du tableau

S’étonnera-t-on que le grand départ de Jean-Guy Barbeau ait lieu dans la splendeur de l’automne? L’artiste ne pouvait que souhaiter la valse pourpre et or des feuilles de nos érables pour saluer la fin de sa toile ultime. Le maître a toujours su quand déposer les pinceaux et s’incliner, avec cette modestie légendaire, devant l’œuvre achevée.

Une œuvre qui nous émeut, comme l’homme qu’il était, bien au-delà du temps!

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