dimanche 27 septembre 2009

Pierre Falardeau dépose les armes

Pierre Falardeau 1946-2009 : Mourir n'est pas la mort

Pierre Falardeau
Photo Radio-Canada

Pendant que nous dormions, cette nuit de vendredi à samedi 26 septembre 2009, Pierre Falardeau rendait les armes contre le cancer. Tout le monde en parle ce matin, rendant hommage à l'homme de conviction, polémiste, cinéaste, artiste engagé. Son œuvre nie la mort de cet esprit marquant. Mourir n'est pas la mort quand la voix ne s'éteint pas lors du dernier souffle.

Hier, mon fils Ariel, étudiant en linguistique à l'UQAC , me résumait sa lecture sur l'aspect social du langage, identifiant quelques exemples les plus remarquables. Ce passionnant débat nous amena à parler du langage de Pierre Fardeau, dans sa vie comme dans son œuvre, alors que j'évoquais mes rencontres avec lui. Je prenais conscience, au fil des mes souvenirs, de l'intensité éprouvée au contact de ce personnage hors du commun et, bien sûr, controversé.

Afin de raviver ma mémoire, j'ai voulu relire quelques uns de mes articles. le concernant. J'ignorais tout de l'à-propos de cette recherche qui me permet, ce matin, d'en partager les fruits en reprenant, plus bas sur cette page, un reportage datant de 1997.

Pierre Falardeau était venu rencontrer les étudiants du Cégep de Chicoutimi. J'avais assisté à ce dialogue, aussi curieuse des questions posées que des réponses données. J'avais rapporté cet échange dans les pages du Progrès-Dimanche et, à sa lecture ce matin, je constate combien la parole de Falardeau demeure actuelle 12 ans plus tard.




Progrès-dimanche
Arts et société, dimanche 23 novembre 1997, p. B3

«Le découragement ça joue contre toi»
-Pierre Falardeau

Laforge, Christiane

Chicoutimi - Homme de paradoxe qui avoue se contredire lui-même, Pierre Falardeau a su amuser et secouer son auditoire, au Cégep de Chicoutimi, mardi dernier.

Pris de cours par la toute première question concernant sa position sur la culture et l'inculture du Québec, un peu embarrassé faute de se souvenir de ses propres déclarations à ce sujet, le cinéaste pamphlétaire a été tout à fait confronté à la deuxième intervention concernant un passage de son livre «La liberté n'est pas une marque de yogourt» dans lequel il dit que l'important n'est pas le chef mais le cœur du matelot.

«Je ne suis pas à une contradiction près, déclare-t-il, précisant qu'en fait, il croit à l'importance d'un chef même si chacun de nous est responsable. Ce que j'ai dit est complètement faux, les chefs sont importants. C'est important qu'il y ait une direction, malgré les niaiseries que j'ai écrites dans mon livre.»

L'indépendantiste a eu tôt fait de se réaffirmer en parlant de son film Elvis Graton qu'il définit comme «le résultat d'un immense écœurement, provoqué par l'échec du référendum de 1980. On demande à un peuple de voter pour la liberté et ce peuple va voter pour l'esclavage.» Propos applaudis par son auditoire qui réagira souvent dans ses déclarations les plus affirmées pour le nationalisme.

Pierre Falardeau a longuement parlé, en réponse aux questions posées, sur la censure insidieuse qui s'applique au Canada sur l'expression artistique. Il a cité des exemples où l'auteur d'un scénario doit justifier jusqu'aux articles définis qu'il utilise. La censure la plus efficace expliquera-t-il, c'est de pousser les personnes à s'autocensurer. Lorsqu'un cinéaste attend après la décision de Téléfim Canada, et que son projet de film est soumis au verdict d'avocats et de fonctionnaires, on apprend vite ce qu'il faut dire et ne pas dire, montrer et cacher. Tout comme lorsque des journalistes ou des animateurs travaillent pour un média, il se doit de savoir qui est le propriétaire pour connaître ses limites d'expression. Falardeau se voulant cependant compréhensif à leur égard, car, dit-il, «il faut payer les factures, la maison et entretenir sa maîtresse».

Il est difficile de résumer ce dialogue avec les jeunes qui a duré plus d'une heure trente. Le langage coloré de Pierre Falardeau, la spontanéité de ses réponses s'ajoutent à son propos qui est souvent mordant. «J'ai été mal élevé» avoue-t-il sans conviction, sinon celle de s'aimer ainsi et de se détester tout autant. Sentiment qu'il partage envers le Québec et les Québécois. Un pays qu'il aime parce que c'est chez lui. Il veut y vivre debout et en français, vilipendant le vendeur de pain de son quartier qui répond «what ?» au mot «pain».

Questionné sur ce qui serait, selon lui, un Québécois qui ne soit pas selon ses termes un «trou de cul», Pierre Falardeau répond en contournant la description par le sentiment d'appartenance: «C'est chez nous, c'est mes affaires. Des fois je nous aime. Des fois je nous haïs collectivement parce qu'on est mitaine, mou. L'autre jour, j'ai niaisé Céline Dion en disant: même si j'aime pas ça je suis content parce que c'est notre marde. Comme j'aime échos vedette que je n'aime pas parce que ce sont nos cochonneries.... Bon, je le sais que je suis fou...»

On doit à Falardeau plusieurs films dont Octobre, Le party, Elvis Graton. Il aurait bien voulu y ajouter Deslauriers, projet jusqu'à présent refusé. «Des projets de films refusés, il y en a cinquante par année. je ne suis pas le seul. Mais je cherche à comprendre pourquoi. Toute ma vie j'ai eu à me battre pour défendre mes projets.»

Pas question de renoncer à ce film. Pas question non plus de limiter ses prochains films, dont un Elvis Graton II qui va être soumis à Téléfilm. «Comme c'est cent fois plus politique que les Patriotes je m'attends à un refus.» Octobre a été refusé plusieurs fois avant d'aboutir à l'écran. Et voici, qu'à sa grande surprise, on le diffuse sur les ondes de Radio-Canada, station dont il dit qu'elle ne cherche qu'à contrôler la pensée des gens. «Je ne comprends pas moi-même qu'ils aient présenté Octobre. C'est peut-être la preuve que le film que j'ai fait est totalement inoffensif et donc totalement sans intérêt.»

Lorsqu'on lui demande: «T'es pas tanné d'être frustré ? », il répond en criant : «Oui. Oui. Tu penses que je devrais me faire soigner. T'as raison, mais parfois ce qui me fait marcher c'est la rage.» Il évoque ensuite Van Gogh, ce peintre dont on s'arrache les œuvres à coup de millions alors qu'il n'en a vendu qu'une seule de son vivant.

«Tu cherches un peu d'espoir autour de toi. Et tu lis la vie de Van Gogh et tu te demandes: comment, comment il a fait pour continuer à peindre alors que personne ne voulait de ses tableaux. Cela m'a donné une espèce de leçon. Il faut continuer, il faut tenir. La lutte politique c'est long mais celui qui gagne c'est le plus toffe des deux. Le découragement ça joue contre toi.»

On comprend qu'il ne sera pas tendre pour la jeune fille qui l'interroge sur l'importance d'avoir des contacts pour réussir, chose difficile, dit-elle, pour les jeunes de la relève. «J'avais pas de contact, j'étais un pauvre innocent. Tout était bouché. je ne pouvais pas faire de film, alors j'ai fait des vidéos. Si ce que tu fais est bon, un jour ça va sortir. C'est pas assuré que tu vas réussir mais il faut faire ce que tu aimes.» Comme elle insiste sur l'absence d'espoir faute de contact, il s'impatiente: «Laisse-toi pas raconter des peurs sinon lâche tout. Laisse tomber. fermer le collège... fermer le Saguenay. Avant que le monde sache ton nom c'est long, mais ça fini par marcher. Même si c'est difficile, il ne faut pas se décourager.»

Son souhait, plusieurs fois répété: «Que l'on cesse d'être une minorité de braillards.»

Ce qu'il craint: «La violence que peut engendrer des tactiques comme celui du mouvement partitionniste.»

Ce qu'il recommande: «Sortez de Passe-Partout. On n'est pas tous des petits amis. Avant 1760, vos ancêtres étaient dans la milice. Vos ancêtres ils ont fourré une volée à Georges Washington.»

© 1997 Progrès-Dimanche. Tous droits réservés.

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Ma première grande émotion falardienne a eu lieu en regardant le film «Party». L'interprétation de Lou Babin, chantant Le cœur est un oiseau tandis qu'un prisonnier «s'évade» en se donnant la mort me hante encore. Cet envol de mots, de musique, d'images m'ont harponnée depuis, sensible et attentive à la suite du combat inlassable mené par Pierre Falardeau. J'aurais aimé retrouver cette interprétation précise. À défaut, même si le diaporama qui l'accompagne manque de profondeur, on peut entendre cette chanson interprétée par France d'Amour.




Pour compléter voici quelques liens retenus:

http://www.pierrefalardeau.com/

http://blogues.cyberpresse.ca/moncinema/lussier/?p=904

http://www.ledevoir.com/2008/10/11/210168.html

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2 commentaires:

  1. « Tous nous serions transformés si nous avions le courage d'être ce que nous sommes.»

    Marguerite Yourcenar

    Extrait de Alexis ou le traité du vain combat

    Pierre Falardeau savait qui il était et ce que nous sommes.

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  2. Il est sans doute insupportable à certains de penser qu'en fait nous sommes ce que nous sommes et que cela nous convient. Sinon, nous devrons reconnaître que nous sommes ces lâches que Falardeau dénonçait et nous n'avons que ce que nous méritons.
    JML

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