dimanche 6 avril 2008

Dieu en trois temps

I

À l'insu des gens raisonnables, de plus en plus souvent, j'explore la nuit. À travers les saisons, j’en saisis les nuances.

Plus je m'éloigne de la ville plus je m'approche d'une magie qui n'a que faire des toits remparts. Je m'abandonne aux étonnantes sensations qui naissent dans l'obscurité, dans le silence solitaire où germe la plus étonnante illusion.

Un drapé de lumière danse dans le ciel. Une coulée de vagues venant vers le sol se meut comme une invite séduisante qui s'empare du regard pour mieux posséder l'âme offerte à cet appel.

Je ferme les yeux, un bref moment, pour mieux voir l'aurore boréale déversant en moi toute l'énergie céleste.

Me voilà déesse.

Je retrouve mon origine. Je m'évade de l'apparence terrienne pour devenir musique de silence, se jouant sur l'orgue illusoire du ciel nordique. Investie, enfin, de la puissance absolue de dieu. Ah! l’exaltante sensation de l'omnipotence!

Me voilà dieu avec le pouvoir infini de libérer les hommes de leur souffrance. Et ne le faisant pas... Prétextant que leur liberté est à ce prix.


II

Cris d’enfants de nos guerres.

Devant l'insoutenable je m'enfuis. Mon cœur bat comme le tam-tam d'un messager cherchant désespérément du secours.

Épuisée je m'étends sur le dos et rive les yeux sur le ciel allumé par d'innombrables étoiles. Subjuguée, je m'accroche à elles, envahie par leur silence. Tout se tait. Tous se taisent. Et j'entends...

Mon âme est criblée par l'écho infini. Je tremble d'impuissance devant la souffrance. Je hurle d'intolérance a l'égard de la douleur infligée. Il n'y a plus assez d'étoiles pour réfugier chaque appel entendu.

J'ai fermé toutes les fenêtres de la maison des autres pour mieux en ignorer les pleurs. J'ai ouvert grand les miennes pour mieux fuir mes peurs.

J'ai scruté chaque ciel de toutes mes nuits pour trouver la réponse. Le temps a répondu aux questions de l'enfance :

Les étoiles ne sont pas des signes gravés dans le ciel par le cri des enfants.
Les fenêtres ne sont pas des remparts.
Et devenir grande ne fait qu'aviver la conscience d'être bien petite.


III

Dans la solitude de mon salon défilent les images d'un drame. La somme douloureuse d'émotions se multiplie par chaque être concerné.

Anonyme, face a l'écran de la télévision, j'observe les visages que l'on ne montre pas : un homme, deux petits garçons et les images que l’on montre : une voiture, une rivière.

Au-delà du récit journalistique décrivant la chronologie des faits il y a l'épouvante. Étrange symbiose! Je suis le petit garçon terrorisé dans la voiture, voyant le père aimé jeter dans l'eau le corps vivant de mon frère, enfermé dans un sac. Figé, je sais qu'il va bientôt se retourner contre moi.

Dans le confort de ma maison heureuse, je deviens le témoin, tout aussi immobile que l’enfant devant l'horreur, taraudée par la haine envers le bourreau. Dans la tourmente de ma révolte, je suis confrontée à l'avocate illusoire qui plaidera la cause du père, au procureur criant vengeance contre l’assassin, à la mère blessée suppliant que l’on sauve ses enfants, au dieu muet regardant son œuvre.

Je me précipite au chevet de mon fils endormi, parce qu'il n'existe que son regard brun-vert pailleté d'or pour me convaincre de l’amour. Que me sert d'aimer à travers tant de cris ? Prendre dans mes bras un seul enfant du monde et le préserver d'un mal qui ne vient que des autres ? Son innocence lui donnera-t-elle le droit de n'être pas victime?

Tout dieu est vain si les enfants doivent souffrir.

***


Christiane Laforge
Saint-Fulgence
10 avril 2001
6 avril 2008

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