lundi 9 février 2009

Polytechnique, l'éloquence de l'art


Photo du film Polytechnique



Progrès-dimanche
Arts Édito, dimanche, 8 février 2009, p. 34




L'éloquence de l'art

Christiane Laforge

Voilà plus de 35 ans que j'utilise les mots pour parler des artistes et de leur importance. Tout ce temps d'une carrière journalistique au cours de laquelle je n'ai jamais douté de cette conviction: l'art est la voix, le miroir, l'expression de ce que nous sommes.

Le jeune réalisateur de Polytechnique Denis Villeneuve et son équipe, producteurs, scénaristes, comédiens, en sont un exemple frappant.

Outre que le cinéma réunit plusieurs disciplines artistiques, sa finalité, à l'instar d'autres formes d'expressions artistiques, transcende le pire et le meilleur de notre humanité.

La tragédie du 6 décembre 1989, alors qu'un homme a délibérément tué 14 femmes étudiant à cette école de Montréal, suscite le désarroi, l'horreur devant la violence du geste, une infinie tristesse devant l'incompréhensible fatalité. Et pourtant, face au grand écran du cinéma Odyssée de Chicoutimi, je me suis inclinée devant une œuvre d'art magistrale.

Montrer

Le film Polytechnique dépasse l'évènement réel qui a marqué toute une population en 1989. Le scénariste Jacques Dabvidts a su aller au cœur d'un fait pour en extraire la forme.

Comment dire? Il a retenu les gestes comme le sculpteur détermine les formes. Il a situé les mots, jamais trop, jamais trop peu, comme le peintre amalgame les couleurs. Les comédiens sont devenus la toile réfléchissant l'ensemble pour en rendre l'expression voulue. La caméra a su tirer parti de chaque plan. Cette route longeant les glaces projetées à la verticale comme une toile se défaisant sous nos yeux. Ou ce couloir inversé comme pour mieux ressentir le sentiment d'un univers totalement renversé. Tant d'exemples d'un film exceptionnel que l'on pourrait citer!

Denis Villeneuve montre les faits. Avec justesse, avec une maîtrise du propos et le remarquable travail de Pierre Gill à la photographie. Il ne raconte pas l'histoire, il nous permet de la regarder. Sans jugement, sans colère, sans préjugé. Nous laissant à notre propre incompréhension devant l'incompréhensible. Parce que c'est cela qui est dit. Il n'y a rien à comprendre. Si horrible, si tragique et totalement inexplicable.

Dire

Polytechnique dépasse les mots. Rend caduques les discours et surtout les propos véhéments des uns et des autres en quête de coupables.

Ce film dépasse l'histoire qu'il raconte. Parce que "ce fait" hélas! n'est pas unique. Récemment, en Belgique, un jeune homme a pris d'assaut une crèche et y a tué plusieurs bébés. Plus près de nous, une famille a été décimée nous laissant pantois, la tête pleine de pourquoi?

Le film ne donne pas de réponse. Là n'est pas le but du cinéaste. Le film démontre qu'il n'y a rien à comprendre au fait lui-même, mais tout à comprendre de ses conséquences, de la douleur, du désarroi. La foudre foudroie. On en meurt. On peut survivre.

Ce film est la somme d'un art achevé. Celui du scénariste, du réalisateur, du photographe, du musicien et des comédiens. Impeccablement dirigés, ils incarnent une vérité humaine qui nous remue, nous trouble profondément et, curieusement, abolit la colère. Rien à juger. Rien à condamner. Seulement l'immensité d'un chagrin justifié. Et une œuvre cinématographique pour l'exprimer.

Tout est senti... ressenti. Un battement de cœur que ponctuent les silences.

L'art a son meilleur!

***

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