Arts, samedi, 31 janvier 2009, p. 21
Une maison face au nord
Un privilège pour le spectateur
Joyeux trentenaire, a su dire le dramaturge Jean-Rock Gaudreault au Théâtre La Rubrique en leur offrant cette pièce à mettre au monde. Un public ému, amusé, conquis par la beauté d'un texte superbement porté par des comédiens impeccables dans leur jeu.
La pièce
Avec tendresse, avec humour, avec doigté, Jean-Rock Gaudreault a su raconter les saisons de toute une vie, en brossant subtilement le portrait social, économique, politique et familial d'un couple.
Mieux encore, il a campé son histoire sur les flancs de Chicoutimi surplombant la rivière Saguenay, risquant des détails précis - la rue Racine, le Progrès-Dimanche, Place du Royaume - sans y enfermer son texte. Il ne serait pas impossible d'adapter la géographie du récit à d'autres régions semblables, car le propos demeure universel.
L'auteur s'insinue dans le cœur d'un couple en fin de parcours, mettant à nu les traces de leur existence : le chagrin inconsolé de l'enfance, les grandes illusions amoureuses, les souvenirs heureux d'une maison pleine des cris d'enfants turbulents, le dur labeur pour gagner son pain, la confrontation à leurs préjugés face à l'étranger, les désillusions politiques, l'éloignement des enfants. Tissé dans les nuances de ces confrontations de la vie, leur présent est la somme de joies et de tristesses qu'ils affrontent chacun à leur façon.
" Ça m'a pris rien qu'une heure pour faire le tour de c'que j'ai ramassé pendant toute une vie, déclare Henri. Quand tu dis que toute ton histoire est là, sur des étagères ; tout c'qui a servi à bâtir des centaines de maisons, pis d'garages... Y a pas un coin d'la région où j'ai pas travaillé. Ben, dans a rue pour m'en r'venir ici, tout avait l'air de s'écrouler. Là, j'ai eu pour mon dire : "Mon vieux, tout ce qui t'entoure est en train de sacrer l'camp, pis t'en fais partie."
Guy Migneault - A.-J.Henderson
© Photo Rocket Lavoie
Le jeu
Il aurait été si facile de pousser un peu trop dans la caricature, de jouer grossier ou mélodramatique. Rien de tel. Tout est crédible, mesuré, tantôt drôle, tantôt émouvant. Il fallait une direction habile pour saisir la grandeur de ce qui semble petit.
Guy Mignault (Henri) maîtrise bien les nuances de ce personnage tout d'une pièce, au caractère tranchant, bourru, épris de son pays et si meurtri par les humains. "Quand j'me suis rendu compte que mon rêve était en train d'me mentir, j'me suis réveillé carré" lui fait dire l'auteur, confiant à ce personnage les répliques les plus percutantes : " On fera pas notre pays. On l'aura pas pis, pour moi, ça va rester une des grandes peines de ma vie. Comme si il y avait une promesse que j'avais pas tenue. Rien que d'en parler... C'est comme si j'avais hérité d'une sorte de colère... "
Le propos semble politique, mais le ton révèle davantage la complexité d'une société qui ne retrouve plus ses balises. Les liens avec le savoureux Larry (A.-J.Henderson) qui absorbe toute la poésie d'Henri, lui retournant sa manière de voir en disant : "C'est toujours spécial la première neige, hein ? La lumière... L'odeur... C'est comme si la terre était prise par surprise."
Un paradoxe qui se devine dans le sentiment amour-haine à l'égard du pays, dans la tendresse-colère envers des enfants qui n'ont pas réalisé les rêves que l'on a faits pour eux et l'affection-rancune marquant les rides du couple. Louisette Dussault rend bien la nature complexe et contradictoire de la femme si résistante qu'elle se casse dans la tempête, chêne ayant tout à apprendre du roseau.
Guy Migneault
© Photo Rocket Lavoie
Entre chaque tableau, le lien musical et les effets sonores, cris des outardes ou chant d'oiseaux, créent une sorte de rupture, un temps d'arrêt. Sur le moment, on le perçoit comme un choix nécessaire pour passer d'un décor à l'autre, au risque de rompre l'intensité de l'envolée oratoire. Impossible d'y trouver une alternative et, avec le recul, cette impression de coupure dans le rythme s'estompe, devenant plutôt un temps suspendu utile au changement d'ambiance voulue. À la finale une ovation bien méritée !
À voir absolument !
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