jeudi 12 novembre 2009

Un Ubu roi qui a du panache

Ubu Roi d'Alfred Jarry - Les Têtes Heureuses 2009
Martin Giguère, Christian Ouellet, Patrice Leblanc

© Photo Jean-François Caron

Les têtes Heureuses nous ont depuis longtemps appris que leurs productions créaient chaque fois un évènement. Il y a toujours «un je n'sais quoi» qui confère à leur théâtre une profondeur qui doit tout à leur mise en scène et à leur distribution. Leur Ubu Roi le confirme une fois de plus. Leur Ubu roi a du panache.

Mes réserves ébranlées

Je n'aime pas le théâtre burlesque. La farce vulgaire, grotesque me hérisse. Et la lecture du texte de la pièce d'Alfred Jarry me laissait mitigée quant au plaisir anticipé. Cependant, les Têtes Heureuses sont une valeur sûre. Et plusieurs noms de la distribution valaient le déplacement.


Christian Ouellet dans UBu Roi
© Photo Merryl B. Lavoie

Oh! surprise! J'ai succombé à la séduction d'un jeu théâtral exceptionnel. Coup de maître, dès le départ, que de confier tous les rôles, féminins comme masculins, à des hommes. La farce est sans équivoque. L'audace aussi, d'une mise en scène qui, poussant au paroxysme l'intention d'une vulgarité consommée dans une scène très osée de «fornication», campe les personnages avec force. Et il fallait l'incroyable talent de Christian Ouellet (Père Ubu) et de Martin Giguère (Mère Ubu) pour réussir à imposer une image sexuelle puissante sans heurter. Le spectateur est bousculé certes, mais il comprend mieux pourquoi la dynamique de ce couple entraîne l'un et l'autre au-delà de ses propres limites. Si désireux de richesse et pouvoir qu'il soit, Père Ubu ne franchit le pas que poussé par l'ambition démesurée d'une femme qui sait comment l'asservir.

Modernité de la mise en scène

Ainsi qu'il l'avait habillement réalisé dans la mise en scène de «Guerre», suggérant les temps et les lieux par le déplacement de quelques accessoires, Rodrigue Villeneuve a pris le risque d'une mise en scène dépouillée, occupant l'espace central du théâtre tandis que les spectateurs se retrouvent de part et d'autre de la scène.

Christian Ouellet (Ubu)
Patrice Lebanc (Capitaine Bordure)

Ubu Roi - Têtes Heureuses 2009

© Photo Jean-François Caron

La pièce se déroule en crescendo où la vénalité des uns s'ajoutent à la convoitise des autres, broyant tout sur leur passage, l'un pour assouvir sa soif de pouvoir, l'autre pour s'approprier le bien des autres. En situant l'action en Pologne, ainsi que le voulait Jarry pour mieux dire que le lieu du délit est sans importance, le drame qui se joue s'universalise et, inévitablement, démontre sa vérité intemporelle.

Sur écran des images projetées pendant la pièce évoquent l'existence d'autres Ubu Roi que celui de cette fiction. Il aurait été souhaitable que l'on soit plus mesuré dans le choix de ces «illustrations»… La suggestion aurait gagné en force à ne cibler que des exemples incontestables d'une pareille cruauté.

Pour illustrer ce qui suit, exemple de photos projetées
Le lynchage de Thomas Shipp et d'Abram Smith

Photo trouvée ici

J'ai éprouvé le même inconfort devant la projection des pendaisons des Noirs américains accompagnant la scène des meurtres d'Ubu contre les «nobles fortunés». L'assassinat raciste de ces hommes et femmes, souvent pauvres - tableaux insoutenables s'il en est - n'ont aucun lien avec ce qui se passe sur la scène et interfèrent sur l'attention portée à l'action qui se déroule.

Et quelle action: un tourbillon de folie, de va-et-vient tonitruants, de rebondissements loufoques et dramatiques. On assiste à un méli-mélo savant où se succèdent coups de fusils, adieux mélodramatiques, crimes et poursuites.

Les comédiens

Martin Giguère crée une Mère Ubu d'une extrême efficacité. Un jeu caricatural habilement maîtrisé qui transcende toute la vénalité du personnage.

Christian Ouellet est tout simplement exceptionnel. Son jeu est si intense que l'on reste accroché à l'expression de ce visage où tout passe. Les yeux tantôt rieurs, tantôt cruels, ajoutent à l'éloquence de la voix et du geste. Une présence si forte qu'elle accentue les quelques faiblesses des autres. Ne fusse que pour voir ce duo magistral, cela mérite de se précipiter au Petit-Théâtre de l'Université du Québec à Chicoutimi. Les dernières représentations auront lieu du 12 au 15 novembre.

La distribution se compose également du très sérieux Patrice Leblanc en Capitaine Bordure, du clown attendrissant Guillaume Ouellet en héritier adolescent Bougrelas, du sage un peu hautain Marc André Perrier en Venceslas, ainsi que de l'ineffable Éric Renald en Reine Rosemonde grandiloquente.


Une très bonne critique de Mélyssa Gagnon
© Le Quotidien, 31 octobre 2009

Quelques liens complémentaires :

http://www.cyberpresse.ca/le-quotidien/arts-spectacles/200910/21/01-913392-ubu-roi-un-clin-doeil-aux-politiciens-actuels.php

http://specialdujour.hautetfort.com/archive/2009/11/02/ubu-roi-sombre-et-jouissif.html

http://lesclapotisdunyoyo2.blogspot.com/2009/10/ubu-roi.html


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4 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blogue.

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  2. Plutô complaisante votre critique! Je n'ai pas l'impression d'avoir assisté à la même pièce que vous. Trop de flingues et de possibilités de décrochage de la part des comédiens, une scénographie qui favorise les black-out beaucoup trop fréquents et les projections de film superflues. Il est à peu près temps que Rodrigue Villeneuve laisse la place aux jeunes metteurs en scène, plutôt que de s'imposer lui-même en Père Ubu du théâtre...

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  3. Chacun reçoit et perçoit une œuvre selon sa personnalité et sa sensibilité. Et, à vous lire dans vos autres écrits, je sais et je m'en réjouis, que nous sommes très très très très différents.
    Vous me dites «complaisante». Alors nous sommes nombreux à l'avoir été. Vous auriez été plus intéressant si vous nous aviez fait part de votre propre analyse critique de la pièce plutôt que de céder, une fois de plus, à la tentation de vous complaire dans le vitriol.

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  4. Vous avez raison Mme Laforge, il est très facile d'être vitriolique. Toutefois je ne suis ni un érudit, ni un parvenu, ni un ignare. Je m'intéresse au théâtre comme à beaucoup d'autres choses et j'ai probablement vu une vingtaine de pièces depuis quelques années, seulement à Saguenay. Je vous avouerai honnêtement que vitriol et complaisance sont pour moi deux contraires qui ne se rejoignent jamais, des univers concourrants. Mais en tant que spectateur qui se déplace et qui paie ses billets, j'ai le droit à mes opinions même si elles divergent de la masse;ce n'est pas parce que plusieurs personnes ont tort que ça leur donne raison.
    En terminant je vous dirai que je ne suis pas un fan de Jean Tremblay, mais l'indélicatesse de l'élever au rang des plus grands despotes comme Khadafi et Ceaucescu, (même si tout ça ressemblait à un clin d'oeil!)a dû indisposer plus de gens que l'on pense. Il serait stupide de penser que tous les spectateurs, sont en accord avec une dissidence qui est extérieure au propos de la pièce et, que la meilleure façon de faire passer le message est de discréditer quelqu'un d'autre...
    Si vous voulez vraiment savoir ce que je pense de la critique, je vous invite à lire "Situation;critique" sur Voir.ca/Alchimiste au bord du burn-out.
    Rodrigue Villeneuve est un homme de théâtre qui sait prendre des risques, à lui d'assumer!

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