vendredi 5 mars 2010

Lettre à Naema



À toi Naema d'Égypte qui a été accueillie au Québec.

Je suis, comme toi, une immigrante venue d'un autre pays. J'ai choisi de vivre au Québec parce que j'en aime sa modernité de pensée où je peux vivre ma vie de femme sous le regard des hommes, mes amis, mes alliés, mes amours.

Élevée dans un milieu catholique, j'ai participé à la lutte contre des croyances issues d'un temps millénaire où les femmes étaient considérées inférieures, où les femmes devaient jurer obéissance aux hommes, où les femmes étaient perçues comme les tentatrices et donc les coupables du désir des hommes. J'ai contribué, avec les hommes et les femmes de ce pays, à édifier cette société moderne où le mot liberté s'épelle avec les lettres du mot respect.

Naema, j'éprouve un grand malaise à t'entendre revendiquer le droit de te voiler le visage. Ce n'est pas le vêtement mais tout ce qu'il évoque qui m'indispose. Nous entendons que cela est ton choix personnel. Mais pour toi comme pour nous, nos choix personnels ont une limite. Notre société comporte ses règles incluant de se présenter à l'autre à visage découvert. Le contraire est perçu comme un manque de respect. De nombreux érudits de l'Islam ne cessent de nous expliquer que la religion dont tu te revendiques n'oblige pas les femmes à porter voile ou niqab. Ta propre croyance, expliques-tu, assure que ton choix est religieux. S'il advenait que la seule «croyance» de chacun devienne «la religion» dont notre charte a voulu protéger la libre pratique, j'imagine mal comment accommoder l'exception sans égard pour les convictions de la majorité.

Je te dirai alors que, selon ma croyance, ton choix de porter le niqab pour te soustraire aux regards des hommes est une injure à mon honneur de femme et insulte mon fils. À mon sens, ton choix est signe d'arrogance et non d'humilité, d'orgueil guerrier et non de modestie, te servant de notre conception de la liberté pour nous imposer ce niqab dont le symbole implicite évoque l'oppression des femmes et la négation de leur droit à l'existence.

Ton voile se dresse entre mon fils et les fils de mes sœurs et amies du Québec comme si, parce qu'ils sont hommes, leur regard ne pouvait être que pervers, concupiscent et sans respect pour toi. Ton voile se dresse entre mon visage nu et ma dignité comme si sa nudité était une offense à la modestie, à la pudeur et un appel à la luxure. Ton voile m'oppresse parce que je crois qu'il dissimule trop de blessures encore aujourd'hui imposées à d'autres femmes. Sais-tu que certaines de tes sœurs parmi nous portent le niqab pour se cacher d'une famille qui les menace de mort pour le seul crime d'avoir voulu affirmer leur liberté? Et je les aide à le porter, avec la crainte et la révolte que je partage avec elles. Ton niqab est politique et il m'outrage car tu comptes te servir des lois de mon pays conçues pour protéger nos libertés.

Je me sens terriblement humiliée, comme mère d'un fils à qui j'ai appris que les hommes et les femmes sont égaux et se doivent un respect mutuel. Je me sens isolée de toi par toi, qui te refuses de comprendre que nous voulons pour nos filles et nos fils un autre monde que celui que tu as quitté.

Dans un article de La Presse, je lis :
«Hier, elle (
toi Naema) s'est vidé le cœur. Elle ne comprend toujours pas pourquoi le cégep l'a expulsée. «Ils ont détruit mes rêves», accuse-t-elle.»»


Moi, je ne comprends pas pourquoi tu ne comprends pas. Et ce sont mes rêves que tu détruiras si jamais cette société qui est la mienne cédait à ton entêtement vestimentaire et ouvrait la porte à toute idéologie qui convaincrait ma petite-fille Élika à se couvrir d'un voile et disparaître aux yeux des hommes.

Gérard Bouchard, homme de tolérance s'il en est, et co-signataire du rapport Bouchard-Taylor n'a pas hésité à exprimer, à l'émission radiophonique de Christiane Charrette, son indignation. Il a dit :
«De se sentir obligée de tourner le dos à la classe pour ne pas regarder [les hommes], de demander à trois hommes de se déplacer pour ne pas les voir : je crois que ces comportements installent l'homme dans une position inférieure. C'est comme si l'homme inspirait une répulsion, qu'il était une source de mal, d'abjection.»

***


Autre lien :
http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201003/02/01-4256828-port-du-niqab-au-cegep-accommodement-sans-heurts-a-ste-foy.php



5 commentaires:

  1. Bravo. La qualité de votre texte supporte avec brio la profondeur de votre pensée. Puis-je suggérer cette lecture complémentaire sur http://sisyphe.org/spip.php?article3544

    Manon

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  2. Bravo Christiane pour ce beau texte, nuancé, sensible et vrai!

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  3. Vous avez été très nombreux, à travers tout le Québec et même au-delà, à me témoigner votre appui dès la parution de mon livre Ma vie à contre-Coran. […]aujourd'hui j'ai envie de vous interpeller directement pour partager avec vous mes terribles inquiétudes? Des inquiétudes qui me rongent l'esprit. Des inquiétudes qui me tiennent éveillée des nuits entières. Des inquiétudes qui obscurcissent des jours heureux qui ont un parfum de printemps. Des inquiétudes qui me rappellent les jours les plus sombres de ma vie, en Algérie, lorsqu'au tout début des années 1990, un parti politique du nom de Front islamique du salut et ses armées menaçaient de prendre le pouvoir et de voiler toutes les femmes de mon pays. Le projet politique du FIS pouvait se résumer en une phrase: l'islam est religion et État et la charia est notre Constitution. La charia, qui se fonde sur la supériorité du musulman sur le non-musulman et la supériorité de l'homme sur la femme. En découle, entre autres, la condamnation à mort des apostats comme moi.
    L'islamisme politique est une idéologie misogyne, sexiste, xénophobe et homophobe qui porte en elle la haine et la violence. Dans ce contexte, les violences à l'égard des femmes sont monnaie courante, car les islamismes s'attaquent aux corps des femmes, qui sont devenus un enjeu politique. Au printemps de l'année 1994, j'habitais à Oran, en Algérie. J'avais 21 ans et des rêves plein la tête. [...]
    Le 10 mars 1994, Abdel-Kader Alloula, ce géant du théâtre, venait d'être assassiné, et Oran avec lui. À la même période, le Groupe islamique armé (GIA) a ordonné aux femmes de mon pays le port du voile islamique. Deux options s'offraient à nous: dissimuler nos corps dans des cercueils ambulants ou résister. Certaines ont résisté et ont été assassinées.[...] Ce jour-là, j'ai compris que ma vie dépendait de la mise en échec de cette idéologie de la mort, que sa victoire sera ma négation, que sa progression sera mon enfermement. […] Ce n'est pas un hasard si le FIS en Algérie a imposé le voile islamique et a assassiné des militantes féministes ou de simples femmes avec une sauvagerie inouïe. Des têtes nues ont été tranchées à la hache, au sabre, au couteau, à la lame et même à la tronçonneuse.
    Je l'ai toujours dit et je le répète encore aujourd'hui: le voile islamique n'est pas un simple vêtement. Il est un élément parmi tant d'autres de tout un système de valeurs qui est incompatible avec nos choix démocratiques. L'attachement de certains, voire leur entêtement, à le porter traduit l'état de misère dans lequel a sombré vertigineusement le monde arabe et musulman depuis une trentaine d'années. Le voile islamique est devenu, ici, en Occident, le premier pilier de l'islam alors que de plus en plus de femmes en Iran, au Soudan, en Arabie saoudite et en Afghanistan le condamnent au péril de leur vie.
    Lorsque j'ai quitté l'Algérie, je ne connaissais rien du Québec. Une chose était sûre, je pensais laisser la terreur islamiste loin derrière moi. […] Je ne pensais jamais devoir crier dans une salle bondée de féministes toute ma douleur de femme pour dire que j'ai été condamnée à mort à l'âge de 20 ans parce que femme, parce que féministe, parce que laïque.

    Je ne pensais jamais devoir convaincre une salle de féministes que le voile est un objet d'asservissement sous lequel des femmes étouffent dans plusieurs pays musulmans. […]
    Or rappelez-vous une chose: le voile islamique, quel qu'il soit, porte en lui la négation des femmes et leur asservissement. Lorsque les voiles avancent, les valeurs démocratiques reculent et les droits des femmes avec elles.[…]

    Djemila Benhabib
    Texte complet publié dans Le Devoir
    Ce blogue limitant nos réponses à 4000 caractères

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  4. Très beau texte, qui résume tout ce qu'il y a à dire.
    Le voile qui ne couvre que la tête et permet de voir le visage de l'autre est acceptable. Après tout, dans la religion catholique, les bonnes sœurs en portent un aussi, même si c'est peut être pour différentes raisons.
    Mais la niqab et à fortiori la burqa, je trouve que c'est un peu beaucoup exagéré.
    Si certaines personnes, comme je l'ai entendu l'autre jour à la télévision (émission française "On n'est pas couché"), disent que la France est un pays libre (Ok, liberté, égalité et fraternité), on sait bien que ma liberté s'arrête là où commence celle de l'autre.
    Petit lien à visiter : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/04/21/voile-integral-le-gouvernement-prepare-une-loi-d-interdiction-generale_1340765_3224.html#ens_id=1245449

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  5. Un texte d'une rare qualité, qui propose un regard de l'intérieur, et qui a le mérite, non seulement de dénoncer l'oppression infligée aux musulmanes, mais également l'aspiration au néant de certaines d'entre elles, à travers Naema. Votre billet condamne également, fait plus rare, la démonisation de l'homme, en tant que personne, et de son regard, nécessairement lubrique, aux yeux de certains et de certaines.
    J'ai abordé, de façon humoristique, le même sujet et vous en propose la lecture. Encore bravo !
    http://olivierkaestle.blogspot.com/2010/06/naema-nabandonnez-pas-votre-ideal.html

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