mercredi 27 juin 2007

Lettre à Jean-Paul Lapointe

En septembre 2006, Jean-Paul Lapointe m'accordait une des plus émouvantes entrevues de ma carrière. Nous avons parlé de sa mort, de sa peur et de sa souffrance. Le reportage a été publié dans le Progrès-Dimanche du 17 septembre 2006. Je ne pouvais prendre mes distances à l'égard de cette confidence, car au-delà de la journaliste il y avait l'amie troublée. Publiée dans la chronique Art-Édito, cette lettre a suscité de nombreuses réactions et l'on m'en a demandé souvent une copie, à l'instar d'un certain Jean-Pierre, dans son commentaire laissé sur ce blogue le 24 juin. La voici donc.

Lettre à Jean-Paul Lapointe
Artiste peintre et ami

par Christiane Laforge

Cher Jean-Paul,

Depuis deux jours, à l’occasion de l’événement La Route de la Maestria, tu accueilles les visiteurs qui se présentent chez toi. Sur le chevalet de l’atelier, la toile commencée lors de notre entrevue est peut-être terminée. Une autre suivra. Tu n’as pas l’intention de déposer le pinceau ni d’éteindre la luminosité de ta palette... quoique le bleu de la nuit l’envahisse tout doucement.

Sans doute continues-tu de répondre: «Ça va bien, ça va même assez bien» tout en laissant entrer le visiteur, parce que tu as la ferme intention de continuer ta vie tant que tu le pourras. Tu termines le dernier été des 71 années de ton existence. Il n’y en aura plus d’autres. Le cancer t’impose sa loi. Le savoir est infernal, m’as-tu confié.

Avec ta générosité habituelle, tu m’as permis de signer, cette semaine, le reportage le plus difficile de ma carrière. Se perdre dans le regard d’un ami, sachant que le temps nous est compté, lui donner une parole qu’il dit avoir perdue, cueillir les mots rares et précieux de son âme d’artiste, est un privilège. La confiance de ton abandon m’a bouleversée.

Il est 8h25, vendredi 15 septembre 2006. J’écris ces lignes dans le brouillard d’une peine anticipée. C’est bien cela, dis-tu, qui est le plus difficile pour toi: imaginer le chagrin, pressentir le désarroi, deviner le vide de l’absence que ressentiront ceux que tu aimes et voudrais protéger bien au-delà de ta mort prochaine. Cette angoisse-là, tu la gardes secrète dans ton silence, qu’exceptionnellement tu as fait taire au cours des quelques heures de notre rencontre.

Je voudrais tant trouver les mots consolateurs. Les paroles anesthésiantes. Déserrer l’étau implacable dont je connais trop bien l’étreinte. Tes amours, tes amis, tes enfants, tous n’ont qu’un seul pouvoir, celui de t’assurer de leur propre force, de leur capacité d’affronter ton départ. Ne fais pas tienne cette douleur-là. Ne l’ajoute pas à ta blessure.

Lorsque je regarde la pénombre des bleus dont tu couvres tes toiles récentes, je sens que nous en sommes-là... au crépuscule. Tu sais en peindre la douceur, les subtiles nuances, traduisant cette hésitation involontaire entre le regret du jour qui s’éteint et l’insondable mystère de la nuit qui approche. Ne pense à rien d’autre, puisque tu reconnais que de peindre te distrait de la peur.

Du bout de ce pinceau qui prolonge ta main d’artiste, c’est la trace de tout ce que tu es qui jaillit. Une trace qui survivra, à toi, à nous, comme les toiles de ce groupe des sept peintres canadiens qui ont inspiré ton enfance.

Je sais. Ce que j’écris ne te rendra pas le temps de vivre. Mais il y a urgence, pour moi, pour d’autres aussi, de te dire l’admiration, la reconnaissance, l’amour. C’est le cadeau que ton témoignage nous permet de t’offrir très cher Jean-Paul, alors que tu es là bien présent avec nous.

Certains disent «à jamais». Je te dis «à toujours».



Art-Édito
Progrès-Dimanche,
17 septembre 2006
http://www.cyberpresse.ca/section/CPQUOTIDIEN

2 commentaires:

  1. Comme c'est beau! ( silence) Vous m'avez fait découvrir la nature fragile d'un homme qui nous donnait l'image de la force indestructible. Vos parole sont touchantes et humaines. Vous allez Mme Laforge au delà des apparences. Merci
    J'en profite pour vous inviter à mon vernissage le 1 novembre pour un 5 à 7 au Centre des Arts et de la Culture de Chicoutimi. Le thème de mon exposition est NATURE. Mes oeuvres récentes sont des huiles sur toile et représentent ma recherche des trois dernières années sur mes impressions du Saguenay. Les dattes de mon exposition sont du 25 octobre au 25 novembre 2007. Je pense que vous aimerai... J'aimerais que vos mots parlent de mes paysages. Vous avez fait une critique de mon travail de peintre en 1978.
    Merci et j'espère très bientôt MmeLaforge

    RépondreEffacer
  2. C'est encore Ann...J'ai oublié de mentionner mon nom Mme. Laforge. Bon alors je me nom Ann Saint-Gelais
    Je vous donne également le nom de mon site internet
    www.annsaintgelais.com Merci

    RépondreEffacer