Musée régional
Pour qui sonne le glas ?
Trop souvent oubliée, la parole demeure le moyen d’expression par excellence. D’autant plus que, dans notre société qui se veut démocratique, cette parole appartient à chacun. Libre à nous de la faire entendre. Je me réjouis de cet appel à tous lancé par Gérard Bouchard concernant le choix du monument que l’on veut ériger à l’intersection Talbot-Jacques-Cartier de Chicoutimi. Choix qui revient à la population. Les élus ont le mandat de défendre cette parole au sein du Conseil municipal. Encore faut-il l’écouter.
Ce débat, qui a failli ne pas avoir lieu, cristallise une malheureuse réalité: nous n’avons pas de mémoire.
Non, il ne s’agit pas d’une accusation. Du moins, pas envers la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean. L’absence de mémoire est le propre de la jeunesse. Et jeunes, nous le sommes. Nous ne comptons même pas deux siècles d’existence en tant que communauté fondatrice de ce Saguenay-Lac-Saint-Jean que nous connaissons aujourd’hui.
Omettre le souvenir se traduit avec éloquence dans l’absence de repères permettant à la mémoire collective de se développer. Où puiser la science de nos racines lorsque la trace en est dissimulée, trop souvent confinée à l’ombre de lieux peu fréquentés?
Le caractère distinct de cette région est forgé des luttes menées depuis l’arrivée du premier pionnier. Nos forces et nos faiblesses ont une même source. Nos succès et nos échecs, nos joies et nos blessures aussi. Seulement voilà, il n’y a pas de lieu culte à cette mémoire-là. En certains pays, on appelle cela un musée, un centre commémoratif, un temple de la renommée.
Après Tintin et Asterix
Signe du temps. La télé-réalité (si mal nommée car cet étalage sans pudeur de «sentiments» si personnels n’a rien de réel) s’impose au détriment des artistes. Exit! les comédiens, les auteurs, les créateurs, le voyeurisme est à l’honneur. Plutôt que des cachets versés au travailleurs culturels, on déverse des sommes folles dans les poches des opportunistes les plus habiles à séduire le public.
Signe du temps. Les Salons du livre, du moins celui de Montréal, détournent les fonds versés à la défense de la littérature, en priorité québécoise devrait-on souhaiter, pour promouvoir les livres de recettes. Entre Roy et Laberge, Beaulieu et Fournier, on déguste Ricardo. À l’ère de l’obésité plus qu’à celle des épicuriens, le livre de cuisine fait recette.
Signe du temps. Le Centre national d’exposition de Jonquière a dû renoncer aux subventions conditionnelles du Conseil des arts, dont les exigences favorisaient les artistes de l’extérieur, afin de pouvoir remplir sa vraie mission régionale auprès des artistes du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Notre Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean, musée régional installé dans l’Édifice 1921 du site classé historique de La Pulperie, inauguré en grandes pompes le 21 juin 2002, s’inscrit, lui aussi, dans le mouvement actuel. Ne se vante-t-on pas d’y accueillir en 2005, une importante et, croit-on, rentable exposition sur la célèbre bande dessinée, «Astérix».
Pendant ce temps s’interroge-t-on sur la visibilité de notre image culturelle. Où peut-on voir les œuvres réalisées par nos artistes en arts visuels au cours du dernier centenaire ? Si nous avons une histoire en peinture et en sculpture, se résume-t-elle au seul nom d’Arthur Villeneuve ? Un seul ne devrait pas occulter tous les autres.
La vitalité de notre théâtre est telle que nous comptons assez de compagnies professionnelles pour tenir, avec elles seules, un festival de théâtre. Où sont les traces des troupes disparues, où sont les vitrines accessibles pour celles qui produisent actuellement ? Sommes-nous si modestes que nous ne songeons même pas à montrer à nos visiteurs les nombreux comédiens, acteurs, chanteurs, musiciens issus de notre région et pourtant célèbres?
Que l’on érige en symbole de notre courage une petite maison blanche épargnée par les eaux, avec les sommes investies à la clé, perdra son sens quand nul n’aura écho de ces hommes et de ces femmes qui l’ont faite si solide.
À défaut de nourrir notre mémoire du souvenir des véritables pères et mères de nos cités on risque un jour d’avoir à se demander «pour qui sonne le glas?»
Texte publié en 2005
Chronique : Art édito du 5 décembre
Progrès-Dimanche
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